En Iran, le réseau Internet asservi
Reporters sans frontières (RSF) révèle les rouages de la machine à censure sur internet construite par la République islamique d’Iran, grâce aux témoignages directs et indirects de journalistes iraniens qu’elle a recueillis. Coupures d’Internet arbitraires, serveurs VPN désactivés… RSF dénonce un système d’asservissement du réseau voué à réduire l’accès à l’information à néant.
“La stratégie de l’Iran est cruelle : la République islamique enferme sa population dans un espace informationnel vide et bloque toutes les issues de secours, déclare le responsable du bureau technologies de RSF, Vincent Berthier. Les coupures d’Internet forment le principal barrage à l’information, et quand le réseau redevient opérationnel, le gouvernement l’entrave d’une autre manière en empêchant l’accès aux VPN. RSF appelle les autorités iraniennes à lever ces restrictions iniques : les Iraniens ont le droit d’accéder à l’information librement.”
Depuis le début des manifestations le 16 septembre dernier, le gouvernement iranien se sert de ses investissements dans le réseau numérique national pour orchestrer de nombreuses coupures d’Internet et multiplie les actes de censure. Des services stratégiques comme Instagram ou WhatsApp sont notamment bloqués. De plus, les autorités s’attaquent aux VPN (Virtual Private Network), ces applications qui chiffrent le trafic de l'utilisateur et le connectent à un serveur distant, protégeant ainsi ses données, anonymisant son activité et permettant donc de contourner la censure.
“Le gouvernement bloque l’accès aux VPN gratuits. Il reste les VPN payants, mais les Iraniens ont du mal à les payer à cause des sanctions. Nous avons besoin de VPN !” déclare à RSF un journaliste souhaitant rester anonyme. La demande de VPN a augmenté de plus de 3 000 % en Iran depuis le début des manifestations d’après le site Top10VPN.com.
Afin d’empêcher le contournement de la censure via les VPN, les autorités ont tout d’abord bloqué les applications Google Play et App Store qui permettaient aux citoyens iraniens d’installer des VPN sur leurs appareils de manière simple et rapide. Elles ont ensuite ajouté une difficulté pour se procurer ces applications en bloquant également les sites web de la plupart des entreprises pouvant en fournir. Et enfin elles entreprennent de désactiver les serveurs VPNs accessibles en Iran.
L’Internet mobile, victime de choix
Plus de 60 % du trafic Internet iranien passe par l’Internet mobile que les manifestants utilisent dans la rue pour documenter les événements. “Le réseau mobile est bien plus impacté par les coupures que le wi-fi. Le gouvernement part du principe que si vous êtes connectés au wi-fi c’est que vous n’êtes pas dans la rue”, explique le journaliste contacté par RSF. “La durée des coupures du réseau dépend des régions. À Téhéran, le réseau peut n’être coupé qu’à partir du milieu de l’après-midi jusqu’à minuit, mais au Kurdistan iranien, les coupures peuvent commencer dès le matin sans perspective de retrouver le réseau avant minuit”.
La censure du réseau dépend directement des fournisseurs d’accès à Internet iraniens, qui se conforment aux décisions du gouvernement. L’observatoire Cloudflare Radar recense ainsi 21 perturbations du réseau en Iran dues à des décisions gouvernementales depuis le 18 septembre dernier. Ses données publiées contiennent également les noms des fournisseurs d’accès à Internet impactés : Irancell, MCI ou encore Rightel, trois des plus importantes entreprises de télécommunications mobiles du pays. D’après les journalistes iraniens contactés par RSF, ces grandes entreprises sont sous l’influence totale du gouvernement.
Dans certaines régions, les Iraniens se retrouvent à court de solutions pour consulter des informations et communiquer avec l’extérieur. Le gouvernement innove sans cesse dans le contrôle du réseau. Les SMS sont également impactés, avec des conséquences directes sur les télécommunications numériques. La stratégie de blocage de la messagerie chiffrée Signal en est un exemple cruel.
Bien que l’application soit interdite en Iran et bloquée depuis janvier 2018, les équipes de Signal avaient mis en place des moyens alternatifs pour s’y connecter. Cependant, la création d’un compte sur Signal nécessite un numéro de téléphone. Au moment de la création du compte, un SMS de vérification est envoyé au téléphone de l’utilisateur pour vérifier la validité de son numéro. Or, ces SMS peuvent être bloqués sur le réseau iranien, empêchant ainsi de finaliser la création d’un compte. Meredith Whittaker, présidente de la Signal Fondation, en charge de la maintenance de l’application, a confirmé à RSF que le blocage “se produit au niveau des infrastructures de télécommunications, que nous ne contrôlons pas, c'est un problème que nous ne pouvons pas régler”.