Reporters sans frontières exprime son inquiétude face aux relations « de plus en plus exécrables » entre la présidence et la presse kenyanes, après qu'une série d'incidents les ont publiquement opposées, dans ce pays jusque-là d'une relative stabilité. « Le président Mwai Kibaki devrait se rendre compte que ce bras de fer avec les médias privés ne pourra déboucher que sur une situation plus mauvaise encore », a déclaré l'organisation.
Reporters sans frontières exprime son inquiétude face aux relations « de plus en plus exécrables » entre la présidence et la presse kenyanes, après qu'une série d'incidents les ont publiquement opposées, dans ce pays jusque-là d'une relative stabilité.
« Le président kenyan Mwai Kibaki devrait se rendre compte que le bras de fer engagé depuis quelques semaines avec les médias privés ne pourra déboucher que sur une situation plus mauvaise encore, a déclaré l'organisation. Les menaces, les pressions et les attaques grandissantes contre la presse constituent non seulement un très mauvais exemple pour la société kenyane, mais également le signe d'un début de dysfonctionnement de la démocratie. Il est temps que le président Kibaki s'extraie de cette querelle personnelle qui prend des proportions grotesques et qu'il endosse son rôle de chef de l'Etat en apaisant les esprits, plutôt qu'en jetant de l'huile sur le feu. »
Le 2 mai 2005, peu avant minuit, la première dame du Kenya, Lucy Kibaki, ses gardes du corps et le chef de la police de Nairobi ont effectué une descente musclée dans les locaux du principal groupe de presse du pays, le Nation Media Group. La première dame a assiégé la rédaction plusieurs heures durant, injuriant et menaçant les journalistes qui, selon elle, avaient été « injustes » envers elle, et exigeant leur arrestation immédiate. Lorsqu'elle s'est rendu compte que Clifford Derrick, cameraman de la télévision KTN (Kenya Television Network), filmait la scène, Lucy Kibaki s'est jetée sur lui, le giflant violemment en essayant vainement de lui arracher sa caméra. Elle reprochait à The Nation et à The Standard d'avoir relaté, le 2 mai, ses tentatives de faire cesser le tapage nocturne provoqué par la fête d'adieu de Makhtar Diop, directeur de la Banque mondiale au Kenya, le 29 avril. Le 10 mai, le cameraman a porté plainte auprès de la police, tandis que la première dame a déposé une demande de sanctions auprès du Conseil des médias, l'organe de régulation de la presse.
Le 16 mai, le gouvernement kenyan a demandé au procureur général de la République, Philip Murgor, de rejeter la plainte de Clifford Derrick. La justice doit se prononcer le 18 mai sur la suite donnée à l'affaire. De son côté, la requête de madame Kibaki auprès du Conseil des médias, publiée par le service de presse de la présidence, « encourageait » les médias à « approcher le bureau et la famille du Président avec plus de décorum et de sens du protocole, plus de respect, d'esprit de justice et d'équilibre ». L'épouse du Président suggérait que les journalistes lui avaient tendu un piège, en s'étonnant du fait que des représentants de médias concurrents se trouvaient dans les locaux de The Nation au moment de son intervention.
Par ailleurs, le 6 mai, soit trois jours après le coup d'éclat de Lucy Kibaki, Angwenyi Gichani, correspondant de The Nation à Nyamira (Ouest), a été agressé par le directeur d'une usine de thé, mécontent de la couverture prétendument « négative » de ses activités. Accompagné de son président, Migiro Ongwae, Stephen Orwenyo, directeur de l'usine de thé Sanganyi dans la ville de Kisii, a frappé le journaliste avec une chaise après que ce dernier avait rejeté les accusations proférées contre lui. Il a été tiré d'affaire par les vigiles de l'hôtel où s'est déroulé l'incident.
Le même jour, la Haute Cour de Mombasa a condamné le groupe de presse propriétaire de The Nation à une amende exorbitante de 10 millions de shillings (environ 103 000 euros) pour diffamation. Le journal avait été attaqué en justice par le juge David Musinga après la parution d'un article, en 1999, citant des parents d'une victime d'accident de la route qui se plaignaient que les dommages et intérêts accordés par un tribunal ne leur avaient pas été reversés par le juge, qui était alors avocat. Le journal avait par la suite refusé de présenter ses excuses au juge, estimant que les accusations avaient été publiées dans l'intérêt du public.
Si, au Kenya, les délits de presse ne sont plus passibles de peines de prison, les amendes prononcées contre les journaux par des juges nommés par le Président sur la base de leur « loyauté » atteignent parfois des sommes disproportionnées. En décembre 2000, l'ancien ministre Nicholas Biwott avait fait condamner pour diffamation deux écrivains britanniques à une amende record de 30 millions de shillings (environ 310 000 euros), après que leur livre avait évoqué sa possible implication dans le meurtre de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Robert Ouko. Dans la même affaire, Bookpoint, une célèbre librairie de Nairobi, avait été condamnée à verser une amende de 10 millions de shillings (environ 103 000 euros) pour avoir mis le livre en vente. En mars 2002, le quotidien People Daily avait été condamné à payer une amende de 20 millions de shillings (environ 207 000 euros), après la parution d'un article, en 1999, qu'un ministre estimait diffamatoire puisqu'il laissait entendre qu'il était corrompu.