Des médias français entravés dans la couverture des guerres par la hausse du prix des assurances : RSF appelle à la responsabilité des assureurs
La très forte augmentation des tarifs d’assurance contraint de plus en plus les rédactions à renoncer ou à se poser la question de l’envoi d’équipes pour couvrir la guerre en Ukraine ou au Proche-Orient. Au nom de la protection du droit à l’information sur les sujets d’intérêt général, Reporters sans frontières (RSF) demande aux assureurs de faire preuve de transparence et de responsabilité sur ces coûts à la charge des rédactions.
Si les guerres à Gaza ou en Ukraine sont au cœur du débat public et des campagnes électorales en France, il est de plus en plus difficile pour les médias de l’hexagone d’envoyer des reporters sur ces terrains de guerre, au détriment du droit à l'information des citoyens. En cause : la forte augmentation des tarifs d’assurance répercutés dans les contrats généraux d’assurance pour tous les déplacements de journalistes à l’étranger et la multiplication par dix des primes pour des missions en zone de conflit, particulièrement depuis le déclenchement de la guerre à Gaza par Israël.
Et ce, alors même que si les reporters de guerre risquent par définition leur vie, les efforts déployés en matière de sécurité par les rédactions et les journalistes ont contribué à la diminution du nombre des professionnels de médias tués en Ukraine de 9 en 2022 à 2 en 2023 et 0 en 2024.
En plus de la question financière et de l’opacité entourant les critères d’augmentation, les médias consultés par RSF se heurtent à plusieurs obstacles préoccupants posés par les compagnies d’assurance : le manque de transparence sur les critères définissant une zone de conflit, le choix unilatéral et opaque de ces zones, ainsi que l'absence d'harmonisation entre eux.
“Le choix cornélien imposé aux médias entre la soutenabilité économique, la sécurité des journalistes et la nécessité d’informer sur des événements internationaux cruciaux est insupportable. L'asymétrie entre le fort intérêt général de l’information sur les zones de tension et la faiblesse des justifications de la hausse des coûts d’assurance est également très inquiétante. Nous appelons les assureurs à faire preuve de responsabilité et de transparence sur les tarifs.
Dans une communication informelle avec RSF, des compagnies d’assurance ont justifié l’augmentation des tarifs par la faible visibilité des risques sur un marché bousculé par l'irruption soudaine de la pandémie du COVID et des guerres en Ukraine et à Gaza. Elle aurait conduit au départ de certains assureurs du marché, l’offre réduite ayant mécaniquement accentué la hausse des prix. L’impact de ces crises sur le coût d’assurance des journalistes français reste à vérifier.
Des "zones de tension" aux contours flous et des démarches administratives complexifiées
Ce qui est sûr, c’est que parmi une douzaine de médias et groupes de médias consultés par RSF sur les tarifs d’assurance, un média a d’ores et déjà avoué avoir refusé, pour cette raison, d’envoyer des équipes à Gaza et en Israël.
Au défi financier, s’ajoute donc l’absence de clarté et d’homogénéisation sur les critères définissant une zone de tension, comme l'illustre le cas d'une société d'assurance classant la Nouvelle-Calédonie, territoire français, comme zone de tension. Par ailleurs, l'alourdissement des procédures administratives entre souvent en conflit total avec les besoins des enquêtes et les réalités du terrain pour les journalistes en zones de guerre. Certains assureurs exigent que leurs clients prennent une décision rapide sur un projet de contrat défavorable, tout en leur imposant des procédures plus lourdes, obligeant les médias à fournir davantage de détails sur les missions envisagées et en cours. Cette meilleure gestion de risque sur le terrain est peut-être la seule vertu de l’évolution actuelle du marché de l’assurance.
Sollicités par RSF, France Assureurs et l’Union des assureurs, n’ont pas donné de commentaire sur les raisons de l’augmentation générale des tarifs d’assurance.