Deepfakes : RSF demande une réponse législative plus ferme aux États-Unis

Aux États-Unis, trois projets de loi limitant l’utilisation des deepfakes en période électorale ont été adoptés par le législateur californien et sont en attente de signature du gouverneur. Si ces textes constituent un premier pas positif, Reporters sans frontières (RSF) appelle au renforcement de cette régulation qui doit être transposée à l’échelle fédérale.

La prolifération des deepfakes – contenus audiovisuels réalistes créés ou manipulés par intelligence artificielle (IA) – à l’approche de l’élection présidentielle américaine a incité le législateur californien à durcir le ton. À la suite des lois adoptées dans d’autres États pour réguler les deepfakes, trois projets de loi californiens, votés par le Sénat et l’Assemblée fin août 2024, pourront entrer en vigueur dès approbation du gouverneur.  

Le premier texte, AB 2839, interdit la diffusion intentionnelle de contenus audiovisuels manipulés numériquement – notamment les deepfakes – représentant de manière trompeuse un candidat, un élu ou un responsable électoral 120 jours en amont et 60 jours en aval des élections. Le second texte, AB 2655, impose aux plateformes numériques d’identifier et de supprimer ces contenus en période électorale, ainsi que de signaler de manière visible les deepfakes susceptibles de compromettre la sincérité du scrutin. Enfin, le troisième projet de loi, AB 2355, exige que toute communication électorale comportant un contenu généré ou modifié par IA inclue une mention claire indiquant sa nature synthétique.

“Les deepfakes mettant en scène des personnalités publiques telles que des journalistes ou des candidats aux élections, lorsqu’ils recueillent des millions de vues sur les réseaux sociaux, bouleversent le rapport aux faits, sapent la confiance du public dans l’information et abîment la démocratie. Ils doivent être combattus sur tous les fronts : politique, technologique et légal. Les projets de loi en voie d'adoption en Californie sont un premier pas, nécessaire mais timide, dans cette direction. Il est essentiel de renforcer cette régulation et de la transposer au plus vite au niveau fédéral.

Arthur Grimonpont
Responsable du bureau IA et enjeux globaux de RSF

La prolifération des deepfakes, menace pour la démocratie

Déjà diffamée en juillet 2024 au moyen d’un deepfake massivement diffusé sur X, la candidate démocrate aux élections présidentielles américaines Kamala Harris a été la cible, début septembre 2024, d’une nouvelle campagne de désinformation exploitant cette technologie dans un faux reportage journalistique généré par IA. En plus de contribuer directement à la désinformation, les deepfakes, lorsqu’ils usurpent l’identité de journalistes ou qu’ils imitent les contenus de médias authentiques, dégradent la confiance du public dans l’information.

Un premier pas nécessaire mais insuffisant

En limitant la diffusion de deepfakes en période électorale, les projets de loi californiens ne répondent toutefois que partiellement aux recommandations formulées par RSF. Ces textes doivent impérativement être complétés pour être pleinement efficaces. 

Tout d’abord, les contenus bannis ne devraient pas se limiter aux deepfakes représentant des candidats et des responsables électoraux : ils devraient a minima inclure tout deepfake détournant l’apparence d’une personnalité publique, notamment celles de journalistes. RSF préconise d’ailleurs d’introduire des sanctions pénales pour toute personne ou organisation publiant ou diffusant intentionnellement des deepfakes pour tromper le public sur la réalité des faits, notamment lorsqu’ils imitent une personne sans son consentement  – comme c’est déjà le cas en France et en Italie

De plus, la loi doit faire peser une responsabilité sur les développeurs et les fournisseurs de systèmes d'intelligence artificielle (IA) générative afin que ceux-ci préviennent la création de ce type de deepfakes. Enfin, RSF encourage l'adoption de standards techniques permettant de prouver l’origine des contenus audiovisuels authentiques, un gage de confiance essentiel alors que les contenus manipulés prolifèrent.

L’urgence d’une législation renforcée à l’échelle fédérale

À l’échelle fédérale, deux projets de loi allant dans le même sens que les textes californiens ont été introduits au Sénat des États-Unis, mais n’ont, jusqu’à présent, toujours pas été programmés à l’agenda du débat parlementaire. Le premier, S.2770, introduit en septembre 2023, proscrit la diffusion de deepfakes représentant des candidats ou des élus, tandis que le second, S.3875, introduit en mars 2024, impose une transparence explicite lorsque l’intelligence artificielle est utilisée dans une publicité électorale. RSF s’est aussi exprimée en faveur du COPIED Act, un projet de loi permettant aux créateurs de contenus d’attacher des informations d'origine à leurs œuvres. 

Une législation fédérale harmonisée et renforcée, accompagnée d’une coopération internationale avec d’autres États, est essentielle pour assurer une protection efficace contre la menace croissante que les deepfakes font peser sur l’intégrité de l’information. 

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