Après une mission sur place, du 17 au 22 mars 2007, Reporters sans frontières rend public un rapport sur l'état de la presse et de la société civile soudanaise, apportant une lumière différente sur l'image trompeuse d'une "terre de massacres" fermée au monde, et dominée par un pouvoir dictatorial et monolithique.
Les miliciens janjawids sont instrumentalisés "par un gouvernement raciste, qui est sous plusieurs aspects pire que le régime de l'apartheid en Afrique du Sud, qui au moins avait la dignité de ne pas utiliser le viol comme technique d'extermination"... Ces propos au vitriol ont-ils été publiés dans le New York Times ou Le Nouvel observateur, connus pour leurs critiques du gouvernement soudanais ? Pour surprenant que cela puisse paraître, ils sont extraits d'un éditorial du Citizen, un quotidien de Khartoum qui les a publiés le 18 mars 2007 - sans subir les foudres des autorités.
Après une mission sur place, du 17 au 22 mars, Reporters sans frontières rend public un rapport intitulé "Darfour : enquête sur les acteurs oubliés d'une crise", dans lequel l'organisation s'attache à apporter des éléments nouveaux au débat qui traverse l'opinion publique mondiale sur la tragédie que vivent les populations de l'ouest du Soudan. Une délégation de Reporters sans frontières a notamment enquêté sur la presse soudanaise qui, à l'image de la société, est active et diverse. Au Darfour même, elle s'est entretenue avec les acteurs d'une société civile bien réelle, consciente du drame qui se joue et des défis auxquels elle doit faire face. D'un pluralisme réel, les journaux paraissant à Khartoum répercutent les voix de ces militants soudanais des droits de l'homme, des chercheurs universitaires locaux et des milieux associatifs en général - des voix qui peinent pourtant à se faire entendre à l'extérieur du Soudan.
Ainsi, contrairement à l'image médiatique dominante, Reporters sans frontières estime que le Soudan n'est pas "une terre de massacres, une terra incognita dans laquelle le premier génocide du XXIe siècle se déroule au Darfour à l'abri des regards, faute de témoins étrangers pour en rendre compte et de voix soudanaises pour le dénoncer". La réalité est beaucoup moins simple et, souvent, contradictoire.
Comme nombre de conflits armés dans le monde, la crise du Darfour pose certes des problèmes de couverture complexes aux médias tant nationaux qu'internationaux. Ces problèmes intrinsèques - multiplicité de factions armées, absence de "ligne de front" et de distinction entre combattants et civils, hostilité naturelle du terrain... - sont à dessein multipliés par la "clôture bureaucratique" que les autorités de Khartoum ont érigée autour de la zone de conflit pour tenter de "réguler" et d'influencer le travail des journalistes (et dont Reporters sans frontières dresse le tableau). Ces difficultés expliquent l'image d'un pays fermé au monde où tous les massacres seraient possibles, à huis clos.
En réaction à cette obstruction à leur mission, les médias internationaux ont tendance à aborder la couverture du Darfour dans un esprit de "résistance" à un gouvernement perçu comme "hostile", conclut Reporters sans frontières. Témoins des pires exactions, les journalistes étrangers risquent donc de véhiculer du Soudan une image détourée, exclusivement focalisée sur la souffrance au Darfour, sans prendre en compte les causes historiques de la crise ou les solutions proposées par la société soudanaise elle-même, dont l'existence, la diversité et l'engagement sont ignorés.
Au terme de son rapport, l'organisation recommande donc au gouvernement soudanais de prendre toutes les mesures nécessaires pour ouvrir le pays à la presse étrangère et offrir des espaces de liberté à une société civile dynamique ; aux organisations internationales de prendre en compte les réalités locales, notamment en soutenant la société civile soudanaise, et de réformer son système de communication ; et aux médias internationaux de ne pas négliger les "acteurs oubliés" de la crise, afin de présenter le Soudan dans toute sa diversité et de l'aider à faire évoluer ses contradictions internes.