Le journaliste britannique Rupert Winchester a été condamné pour diffamation par le tribunal municipal de Phnom Penh, le 24 juillet 2014. Cet inquiétant précédent, qui intervient quelques mois seulement après qu’un projet de loi sur les cybercrimes a été rendu publique, est une nouvelle menace pour la liberté de l’information et d’expression en ligne.
Dans un pays où la plupart des médias audiovisuels et la presse écrite sont contrôlés par le Parti du peuple cambodgien (CPP), Internet offre un espace de liberté d’information et d’opinion pour les journalistes et les net-citoyens indépendants. Mais pour combien de temps ? Le 7 juin 2013, le journaliste
Rupert Winchester a publié sur son blog “
The Mighty Penh” un article sur la question de la conservation du patrimoine historique au Cambodge, en prenant notamment pour exemple le risque de disparition d’une demeure coloniale située à Phnom Penh. La villa coloniale a été mise en vente pour 14 millions de dollars avec, selon Rupert Winchester, la condition pour l’acheteur d’accepter qu’un nouvel édifice de sept étages soit construit en lieu et place de la villa. Interrogé à ce sujet, Etienne Chenevier, directeur de la branche Asie de la société d’investissement CityStar, propriétaire de la villa, avait nié projeter la destruction de la villa. Après avoir menacé de poursuites le journaliste en cas de publication d’un article à ce sujet, l’homme d’affaires français a mis à exécution ses menaces et porté plainte contre l’auteur du blog. Le 24 juillet dernier, le tribunal municipal de Phnom Penh a condamné le journaliste à une amende de 8 millions de riel (environ 2000 USD) et à verser 100 millions de riel (environ 25 000 USD) de dommages à Etienne Chevenier.
“
Nous sommes consternés par ce jugement, qui est un triste rappel du peu de cas que fait la justice cambodgienne de la liberté de l’information, déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique.
Le code pénal a encore été utilisé pour condamner, de manière totalement disproportionnée, un journaliste alors qu’une loi sur la presse existe et ne criminalise pas la diffamation. Cette décision semble même ignorer le fait que le journaliste avait inclus les déclarations d’Etienne Chenevier, niant avoir planifié la destruction de la villa, dans son article. La justice doit être plus vigilante dans sa qualification de la diffamation.”
Contacté par Reporters sans frontières, Sebastian Strangio, vice-président du club de la presse étrangère au Cambodge (Overseas Press Club of Cambodia, OPCC) a déclaré : “Cette condamnation constitue un terrible précédent pour la liberté d'expression au Cambodge, en particulier pour les commentaires sur les blogs personnels et les réseaux sociaux. Elle attire également l'attention sur les insuffisances des lois sur la diffamation du Cambodge. L'OPCC espère que les juges reverront leur verdict à la baisse lors du jugement en appel. À l'heure actuelle, la condamnation envoie comme message qu’aucune publication en ligne, aussi insignifiante soit-elle, n’est hors de portée de représailles judiciaires par ceux qui ont le temps et l'argent pour porter plainte."
La gravité de cette condamnation se mesure également à l’aune d’un
projet de loi visant à lutter contre la cybercriminalité, et révélé en avril dernier par Article 19. L’article 28 du texte, et notamment le cinquième paragraphe, définissant le contenu des sites internet à surveiller et censurer, propose de pénaliser les contenus portant “atteinte à la souveraineté et à l’intégrité du Cambodge” d’un à trois ans d’emprisonnement et d’une amende allant de deux à six millions de riels (de 366 à environ 1100 euros). Des expressions vagues telles que “publications susceptibles de générer de l’anarchie, de l’insécurité, de l’instabilité et de nuire à l’intégrité des agences gouvernementales et aux ministères” menacent également la liberté de l’information dans le pays.
Le Cambodge est situé à la 144e position sur 180 pays dans le
Classement mondial de la liberté de la presse 2014 établi par Reporters sans frontières.