Comment Israël étouffe le journalisme à Gaza
Journalistes tués ou blessés, rédactions détruites, coupures d’Internet et menace de censure de la chaîne internationale Al Jazeera : Israël étouffe progressivement depuis près de deux semaines l’information dans la bande de Gaza.
C’est un véritable black-out médiatique que les autorités israéliennes risquent d’imposer à Gaza. Les mesures générales comme le blocus imposé depuis longtemps et renforcé récemment, et ces derniers jours le déplacement forcé de civils, affectent les journalistes locaux et leurs familles. Mais il y a aussi une mise en danger spécifique des rédactions et des professionnels de l’information, sous des formes multiples.
Lors de la semaine “sanglante” suivant le massacre de civils israéliens par le Hamas, 10 journalistes ont été tués dans l’exercice de leur métier, dont 8 à Gaza, la plupart, sinon tous, sous les bombardements israéliens. Le dernier en date est le journaliste Mohammad Baalouche, directeur de la chaîne de télévision Palestine Today, tué par une frappe qui a ciblé sa maison, le 17 octobre, selon les informations recueillies par RSF. En plus de ces 10 reporters tués alors qu’ils couvraient le conflit, 9 autres ont trouvé la mort à leurs domiciles, à Gaza, à la suite de frappes israéliennes. RSF enquête pour savoir s'ils ont été pris pour cible en raison de leur travail.
La logique de l’étouffement médiatique prend aussi d’autres formes. Depuis le 7 octobre, de nombreux médias ont été entièrement ou partiellement détruits à Gaza par les frappes aériennes israéliennes. Selon le Syndicat palestinien de la presse, ce nombre s’élève à 50. La plupart des 24 stations de radio émettant sur les ondes et en ligne, et qui comptent parmi les principales sources d'information sur la zone, ont été mises hors service par les frappes ou par le blocus israélien, qui empêche l’approvisionnement en carburant. Le 19 octobre, une frappe a détruit une rédaction éphémère sous tente abritant des équipes de la BBC, Reuters, Al Jazeera, l'AFP, et des agences de presse locales, sans faire de blessés, à proximité de l'hôpital Nasser de Khan Younès.
Multiplication des entraves à l’information
Alors qu’ils risquent leur vie au quotidien, au moins 50 journalistes – selon les estimations de RSF – ont dû évacuer précipitamment leurs maisons dans la ville de Gaza ces derniers jours, suite aux ordres d’évacuation israéliens. Ils ont dû abandonner leur matériel, documents et équipements de protection dans ce déplacement forcé.
“J’ai évacué ma maison à Gaza City hier soir. J’ai du mal à vous parler. Nous n'avons pratiquement pas d'Internet ici et nous ne pouvons pas recharger nos téléphones. Je fais de mon mieux pour recueillir des informations, déclare la correspondante de RSF après plus de six heures passées sans réseau accessible. Nous vivons dans la peur, c'est insupportable, partage-t-elle le samedi 14 octobre, une semaine après le début du conflit. Ce n'est pas la première guerre que je couvre à Gaza, mais je n'ai jamais rien vu de tel.”
La pression sur les journalistes qui couvrent la situation à Gaza, même en dehors du territoire, augmente depuis le 7 octobre. En Cisjordanie, au moins un journaliste a été arrêté par les forces d’occupation israélienne sur le territoire palestinien, pour sa couverture de la guerre à Gaza. À Jérusalem, le correspondant d'Al Araby Tv, Ahmad Darwasha a été menacé et insulté en direct par un officier de police, tandis que trois journalistes de la BBC ont été tenus en joue par la police israélienne à Tel Aviv.
“Pour que la situation à puisse être rapportée à l’extérieur de manière libre et fiable, les journalistes doivent pouvoir travailler. Or l’exercice du journalisme y devient chaque jour plus périlleux. Depuis près de deux semaines, les forces armées israéliennes font tout pour empêcher la diffusion d’images. RSF dénonce ce blackout médiatique qu’Israël tente d'imposer. Le journalisme est l’antidote à la désinformation, qui se propage de manière particulièrement forte à propos de la région
Par ailleurs, Al Jazeera devrait bientôt être inaccessible sur le territoire israélien. Dans leur “réglementation d’urgence” qui devrait être adoptée dimanche, les ministres israéliens prévoient la censure d’une des principales chaînes internationales couvrant la guerre à Gaza et ses répercussions.