La justice civile et militaire de la "République turque de Chypre du Nord" a lancé des poursuites contre cinq journalistes des quotidiens Kibris et Ortam ayant osé critiquer l'armée. Ils risquent 10 à 40 ans de prison. Reporters sans frontières, alarmée face à la situation de la liberté de la presse dans le Nord de l'île, demande l'abandon des charges retenues contre les journalistes.
Des poursuites ont été engagées en "République turque de Chypre du Nord" ("RTCN" - reconnue par la seule Turquie), les 3 et 4 novembre dernier, contre cinq journalistes pour outrage à l'armée. Les articles incriminés dénonçaient la violence avec laquelle la police (qui dépend de l'armée) avait réprimé une manifestation dans le village de Doganci, le 25 mars 2003, en faveur d'un référendum symbolique, après l'échec d'un plan des Nations unies pour la réunification de l'île. Les journalistes encourent une peine de dix à quarante ans de prison. Comme l'exige la loi en vigueur, ils devront être incarcérés pendant la durée de leurs procès, dont les dates n'ont pas encore été fixées. Selon des sources proches de la police, d'autres journalistes pourraient être poursuivis.
"Nous sommes profondément scandalisés à l'idée que des journalistes puissent être condamnés à tant d'années de prison simplement pour avoir exercé leur métier", a déclaré Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières, dans un courrier adressé au chef de la communauté turque chypriote, Rauf Denktash, et au ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gül. "De telles poursuites constituent des violations extrêmement graves de la liberté de la presse. Elles sont contraires aux standards européens et à ceux des Nations unies, selon lesquels aucun délit de presse ne doit être passible de peines de prison. Si les charges retenues contre les journalistes n'étaient pas purement et simplement abandonnées, la "RTCN" franchirait une étape supplémentaire, et lourde de conséquences, dans la répression contre la presse indépendante. Nous attendons une réponse écrite à ce courrier, dont nous adressons une copie à l'Union européenne et à l'OTAN", a-t-il précisé.
Le 3 novembre, le parquet militaire a engagé des poursuites contre Basharan Duzgun, rédacteur en chef et éditorialiste du quotidien Kibris et correspondant de l'Agence France-Presse, pour outrage à l'armée. Le procureur a requis une peine de dix ans de prison. Dans un éditorial intitulé "Les garants de qui ?", publié le 27 mars, le journaliste critiquait les méthodes de la police et interpellait la Grèce, la Turquie et la Grande-Bretagne, déclarées "garantes" de l'indépendance de Chypre en 1960.
Hasan Hasturer, éditorialiste de Kibris, est poursuivi par un tribunal civil, depuis le 3 novembre, pour "incitation à la haine envers l'Etat dans l'intention de le détruire et de l'avilir" et pour "insulte et incitation à la haine envers les officiers supérieurs de Turquie", en raison d'un éditorial intitulé "La démocratie à la matraque à Doganci", publié le
26 mars. Le journaliste encourt une peine de onze ans de prison.
Des poursuites ont été engagées par le parquet militaire et par un tribunal civil, le 4 novembre, contre Suleyman Erguclu, rédacteur en chef de Kibris, pour avoir publié ces articles. Il risque vingt et un ans de prison.
Le même jour, Hasan Kahvecioglu, éditorialiste du quotidien Ortam, a été poursuivi pour outrage à l'armée suite à un article intitulé "Pourquoi l'Etat, la police et l'armée agissent-ils contre leurs propres citoyens ?", publié le 26 mars. Le parquet militaire a requis une peine de onze ans de prison.
Mehmet Davulcu, rédacteur en chef de Ortam, a également été poursuivi par le parquet militaire pour avoir publié cet article. Il risque quarante-quatre ans de prison, quatre chefs d'accusation pesant actuellement contre lui.