Censure sur les médias en ligne aux Philippines
Ce mercredi 29 juin, le site d’information Rappler a annoncé qu'il avait reçu un ordre de fermeture. Une nouvelle attaque contre les médias indépendants après le blocage des sites Bulatlat et Pinoy Weekly, le 17 juin, sur ordre du gouvernement philippin. Reporters sans frontières (RSF) demande à ce dernier de cesser ses tactiques d’intimidation contre les organes de presse indépendants de l’archipel.
“La brutalité de la censure qui frappe les médias n’a d'égale que l'absurdité des accusations qui justifient ces fermetures et blocages, estime le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. Le harcèlement judiciaire contre Rappler doit cesser et nous exigeons du commissaire Gamaliel Cordoba, le président de la NTC, qu’il ordonne le rétablissement immédiat de l’accès aux deux portails d’information, dont le seul crime est d’enquêter sur des sujets qui déplaisent manifestement au gouvernement. Il est grand temps que ce dernier renoue avec l'État de droit et cesse ces invectives d’un autre temps.”
Ce mercredi 29 juin, le site d’information Rappler a annoncé qu'il avait reçu l’ordre de fermer. Mais pour sa co-fondatrice, le prix Nobel de la paix Maria Ressa : “Nous continuons à travailler, c’est comme d’habitude”. Rappler et ses journalistes font en effet l’objet de nombreuses poursuites judiciaires depuis la création du média en 2012. En avril dernier, ils étaient la cible de 16 nouvelles plaintes, notamment pour cybercriminalité. Aujourd’hui c’est son certificat d’enregistrement qui a été révoqué par la Commission boursière philippine, sous couvert de violation des “restrictions constitutionnelles et statutaires en matière de propriété étrangère au sein des médias”. Une annonce qui intervient à la veille de la fin de la présidence de Rodrigo Duterte, dont la sanglante “guerre anti-drogue” a été critiquée par le site. Rappler fera appel de cette procédure. Cette décision intervient dans un contexte très préoccupant pour les médias aux Philippines, avec le blocage d'autres sites.
“Cette page est actuellement introuvable.” C’est le message d’erreur sur lequel tombent systématiquement, depuis le 17 juin, les lecteurs des portails d'information Bulatlat et Pinoy Weekly basés aux Philippines. Et pour cause : onze jours plus tôt, la Commission nationale des télécommunications (NTC), une agence gouvernementale, a ordonné en toute opacité le blocage de ces deux médias au prétexte qu’ils soutiendraient des “groupes terroristes-communistes”.
La NTC a, en effet, agi suite à une requête émanant du général Hermogenes Esperon, qui occupe le poste de conseiller du gouvernement à la sécurité nationale. Le document, dont RSF a pu consulter une copie, dresse une liste de 28 sites “affiliés et soutiens d’organisations terroristes” qui seraient liées au Parti communiste des Philippines. Et qui, en tant que tels, doivent être purement et simplement interdits.
Censure, arrestation, exécution
Cette pratique type des autorités philippines, surnommée “red-tagging” (ou “catalogage gauchiste”), consiste à stigmatiser comme “éléments subversifs” les journalistes et les médias qui ne suivent pas la ligne du gouvernement. Héritée de la colonisation états-unienne et de la Guerre froide, elle revient à les désigner aux forces de l’ordre comme des cibles légitimes de censure, d’arrestation ou d’exécution sommaire.
C’est à la suite d’une campagne similaire de “red-tagging” que Bulatlat avait déjà fait l’objet, à partir de janvier 2019, de plusieurs vagues de cyberattaques en masse de type “DDoS” (pour “Distributed Denial of Service” soit des attaques par déni de service distribué), qui consistent à saturer un portail web de requêtes envoyés depuis des “fermes à clics”. En réponse, RSF avait intégré Bulatlat à son programme Collateral Freedom, lequel permet de contourner la censure en ligne grâce à un dispositif fondé sur la technique du "miroir”.
“Les attaques DDoS nous avaient déjà empoisonné la vie, se souvient Ronalyn Olea, la directrice de la rédaction de Bulatlat, contactée par RSF. Et voilà que ce [nouvel] assaut, dirigé par l’État, occupe à 100 % notre petite rédaction, qui doit y répondre de front alors que nous préférerions clairement passer ce temps et cette énergie sur le terrain, à enquêter sur des sujets importants.”
Intimider la profession
Créé en 2001, Bulatlat (“Examen minutieux", en tagalog), est un pionnier de l’information en ligne aux Philippines. À l’instar du Pinoy Weekly, le site fait partie du réseau national Altermidya, qui regroupe une trentaine de médias engagés dans un journalisme indépendant et préoccupé par les questions qui touchent les franges les plus marginalisées de la société.
Les journalistes de ces organes de presse sont, à ce titre, l’objet régulier d’accusations parfaitement fallacieuses, comme la reportrice du site Eastern Vista, Frenchie Mae Cumpio, qui croupit depuis plus de deux ans dans une prison de la ville de Tacloban, dans l’est de l’archipel philippin. Accusée de terrorisme, elle risque vingt ans de prison.
“Le journalisme, ce n’est pas du terrorisme, résume Ronalyn Olea, de Bulatlat. Donner la parole aux dissidents politiques fait aussi partie de notre travail. Réduire cela à de l’“incitation au terrorisme”, c’est violer le droit fondamental des citoyens à une presse libre. Et c’est intimider l’ensemble de la profession.”
Les Philippines se situent à la 147e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse 2022 établi par RSF.