Cameroun : un journaliste accusé de “sécession” placé en détention provisoire pour six mois
Alors que les autorités camerounaises n’ont fourni aucune explication crédible sur la mort en détention d’un journaliste en août 2019, Reporters sans frontières (RSF) dénonce l’arrestation et le placement en détention provisoire d’un autre reporter anglophone, lui aussi accusé de soutien aux partisans de la sécession des régions anglophones du pays.
Le Cameroun est il en train de devenir le pays le plus dangereux pour les journalistes d’Afrique centrale? Alors que le président Paul Biya a promis une enquête sur les circonstances très troubles entourant la mort du journaliste Samuel Wazizi, dont le décès aux mains des militaires a récemment été reconnu par les autorités plus de 10 mois après les faits, un autre journaliste anglophone fait actuellement l’objet d’un traitement très inquiétant. Kingsley Fumunyuy Njoka, reporter freelance, a été arrêté à son domicile de Douala, la capitale économique du pays, par quatre hommes armés le 15 mai dernier. Trois ordinateurs portables ont également été saisis en marge de son arrestation selon la femme du journaliste contactée par RSF.
Détenu au secret pendant plus de trois semaines, ses avocats ont finalement pu avoir accès à lui. Officiellement accusé de “sécession et complicité de bande armée”, le journaliste a été placé en détention provisoire pour six mois à compter du 12 juin. Il est dans une “état fébrile” selon l’un de ses avocats joint par RSF qui ajoute que son arrestation est liée à “ses prises de positions critiques” contre la façon dont les autorités camerounaises gèrent la crise dans les régions anglophones de l’ouest du pays en proie à des combats opposant militaires et séparatistes armés qui ont fait plus de 3000 morts depuis trois ans. Il lui serait aussi reproché d'appartenir à des groupes de discussion sur la crise anglophone sur les réseaux sociaux.
Des accusations qualifiées de “ridicules” par un confrère très proche du journaliste joint par RSF. D’après les informations recueillies par notre organisation, Kingsley Njoka est connu pour son professionnalisme et ses critiques, parfois “acerbes” mais toujours factuelles, sur la gestion de la crise anglophone par les autorités camerounaises. Selon son entourage, il est très probable que le journaliste ait été placé sur écoute car il discutait régulièrement de ce conflit avec d’autres journalistes.
“Les accusations portées contre ce journaliste n’ont, jusqu’à présent, jamais été étayées et sa détention au secret pendant plusieurs semaines aurait sans doute duré plus longtemps sans les graves révélations autour de la mort de son confrère anglophone Samuel Wazizi, lui aussi initialement arrêté pour sa couverture de la crise qui secoue les régions occidentales du Cameroun, estime Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Détenus au secret, régulièrement associés à des terroristes, jugés devant des tribunaux d’exception, les journalistes camerounais, notamment celles et ceux qui traitent du conflit anglophone, se trouvent dans une situation extrêmement préoccupante. Aucun pays de la région n’est allé aussi loin dans la répression de la liberté d’informer ces dernières années.”
L’arrestation et les accusations contre Kingsley Njoka font tristement échos au sort réservé à son confrère anglophone Samuel Wazizi. Dans son enquête, RSF avait pu confirmer que ce journaliste anglophone, lui aussi accusé de complicité avec les sécessionnistes, était mort pendant sa détention, que sa famille n’avait pas été informée de son décès contrairement à ce qu’a affirmé le gouvernement et que les blessures constatées sur son corps méritaient de nouvelles investigations pour établir les circonstances précises de son décès. Selon la version officielle, le journaliste serait mort des suites d’une maladie, quinze jours seulement après son arrestation, et ce alors qu’il était en parfaite santé.
Les détentions arbitraires de journalistes, parfois pour de très longues durées sont fréquentes au Cameroun. Accusé de terrorisme dans un dossier monté de toutes pièces, le correspondant de RFI en langue haoussa Ahmed Abba avait passé 29 mois en détention avant d’être libéré fin 2017 et contraint de quitter son pays.
L’ex directeur général de la CRTV Amadou Vamoulké est quand à lui toujours en détention provisoire depuis près de quatre ans. Accusé de crimes économiques, le journaliste est jugé devant un tribunal d’exception qui s’est réuni à plus de trente reprises sans jamais pouvoir établir les charges qui pèsent contre lui. Saisi par RSF, le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a récemment demandé la libération du journaliste, estimant que sa détention ne reposait sur “aucune base légale” et que son droit à un procès équitable avait été l’objet de graves violations.
Le Cameroun a perdu trois places et figure désormais à la 134e position sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2020.