Burundi: Radio Isanganiro sous pression
Reporters sans frontières (RSF) s‘inquiète de la convocation du rédacteur en chef de Radio Isanganiro par les services de renseignement et plus largement de l’ingérence du gouvernement dans la ligne éditoriale de la radio.
Joseph Nsabiyabandi, le rédacteur en chef de Radio Isanganiro, a dû passer son après-midi d’hier dans les locaux du Service national du renseignement de Bujumbura (SNR). Il a été interrogé sur sa supposée collaboration avec les radios burundaises en exil au Rwanda , Inzamba et Humura. Le SNR lui reprochait également de n’avoir pas respecté la ligne éditoriale de la radio et d’avoir "incité l'opinion et la population à la révolte", sans être en mesure de citer le moindre reportage corroborant ces accusations. Le journaliste a démenti toutes ces accusations, faisant notamment valoir que, depuis sa nomination en tant que rédacteur en chef en octobre 2016, il n’avait reçu aucun rappel à l’ordre pour partialité ou pour mauvais traitement d’information de la part du Conseil national de la communication. En partant, le journaliste a été menacé de possibles représailles si les choses ne s'apaisaient pas.
Une chasse gouvernementale aux radios en exil
Le gouvernement avait prévenu d’une offensive contre les médias indépendants lors d’une conférence de presse le 17 mars 2017. Le porte-parole du gouvernement avait mis en garde les radios qui avaient été fermées et qui émettaient depuis un pays étranger. En ligne de mire: les radios en exil au Rwanda, Humura issue de la RPA et Radio Inzamba qui rassemble des journalistes d’Isanganiro et Bonesha FM. Les deux médias diffusent leurs journaux en ligne et via Whatsapp. Bien qu’ayant le mérite d’exister et de donner la parole notamment aux réfugiés dans les camps, elles font face à des difficultés pour accéder à une information fiable venant du Burundi et n’ont pas accès aux sources officielles pour obtenir des informations contradictoires ou des réactions.
“Le fait d’intimider les journalistes burundais dans le pays au motif de collaborer avec ces radios vise à rendre leur travail encore plus difficile et à les isoler davantage, remarque Cléa Kahn-Sriber responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières. Le gouvernement burundais devrait s'intéresser à un débat démocratique et pluraliste auquel les médias pourraient contribuer. Il semble au contraire favoriser une narration unique, en appui au pouvoir exclusif du président Nkurunziza. “
Des pressions en interne
Cette convocation du rédacteur en chef d’Isanganiro par les redoutés services de renseignement vise également à intimider les journalistes qui travaillent pour des médias à l’intérieur du pays et qui sont soumis à des pressions quotidiennes, au sein même de leur rédaction.
Le cas de Radio Isanganiro est symptomatique de cette situation. Après avoir été fermée comme toutes les autres radios indépendantes en mai 2015, la radio a rouverte avec, à sa tête, un nouveau directeur nommé par le conseil d’administration proche du pouvoir, Samson Maniradukunda, en remplacement de la directrice, Anne Niyuhire, contrainte de s’exiler au Rwanda. Pour permettre sa réouverture, la radio a également dû signer un “acte d’engagement” à appliquer une certaine ligne éditoriale “équilibrée et objective” et respectueuse de la “sécurité du pays”. Ce qui constitue “l’équilibre et l’objectivité” de la radio est essentiellement laissée à l’appréciation du gouvernement et du nouveau directeur qui se charge d’appliquer les directives du gouvernement pour borner les libertés éditoriale de sa radio. Des sources très proches de la radio témoignent qu’à plusieurs reprises, le directeur est intervenu après avoir reçu des appels de membres du gouvernement pour faire modifier les programmes de la radio.
Les journalistes de Radio Isanganiro se plaignent des pressions qu’ils subissent régulièrement dans leur travail. Plusieurs journalistes se sont récemment vu notifier leur renvoi pour avoir défendu leurs principes, tandis que ceux qui y travaillent encore ont dû signer une nouvelle charte éthique, ce qu’ils ont perçu comme un signal inquiétant. Dans ce pays qui vit depuis deux ans dans l’arbitraire, où les gens peuvent se faire arrêter par les services de renseignement et ne jamais réapparaître, où tout est mis en place pour permettre un contrôle accru des populations, le simple fait de signer un document de travail peut alimenter la paranoïa.
Le Burundi occupe la 156ème place au Classement 2016 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.