Bosnie-Herzégovine : le média public BHRT sous pression et menacé de disparition
Alors que la Bosnie prépare l’élection législative dans un contexte de grandes tensions dans les Balkans ravivées par la guerre en Ukraine, l’accès du public à une information pluraliste et fiable est mis en péril par les pressions sur le média de service public, la BHRT. Reporters sans frontières (RSF) exhorte les institutions centrales et de la région majoritairement serbe à respecter la loi et à trouver une solution pérenne pour le média.
Le service public de Bosnie-Herzégovine, la Radio-Télévision de Bosnie-Herzégovine (BHRT) a échappé de peu à une fermeture qui aurait représenté une rare et grave atteinte au pluralisme de l’information dans la région. Sa survie reste en jeu.
Prévue à l’origine pour le 1er avril, la fermeture de la BHRT a été empêchée grâce à une résolution du Parlement de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, une des deux entités régionales de Bosnie. La résolution a conduit l’administration fiscale de l’entité régionale à débloquer, le 6 avril, les comptes de la BHRT gelés depuis deux semaines.
Ce sauvetage in extremis ne met cependant pas à l’abri ce radiodiffuseur public national, soumis à des pressions économiques incessantes de la part de la RTRS, son équivalent dans l’autre entité de Bosnie, la Republika Srpska.
En effet, la RTRS, qui perçoit l’ensemble des recettes de la redevance audiovisuelle prélevée sur tout le territoire de la Bosnie, est en principe tenue par la loi sur la radiodiffusion publique de 2005 de verser 50% de ces revenus à la BHRT et 25% à la FTVBiH, le radiodiffuseur public de la Fédération de Bosnie. Or, la RTRS refuse depuis plusieurs années de s'acquitter de ses obligations envers la BHRT, la privant ainsi de l’équivalent de 32,2 millions d’euros des pertes cumulées qui l’empêchent non seulement de mener à bien sa mission d’information, mais aussi d’honorer ses contraintes fiscales et salariales. Celle-ci s’est alors surendettée jusqu’à en devenir insolvable, incapable de rembourser un montant qui se chiffre désormais à plus de 9 millions d’euros.
Les pressions de la RTRS, sous influence du parti indépendantiste serbe au pouvoir en Republika Srpska, le SNSD, s’inscrivent dans un contexte d’attaques régulières envers les institutions de Bosnie et visent à affaiblir sa légitimité en tant qu’Etat central, dont la BHRT est une institution importante. En l'occurrence, la RTRS fait obstruction depuis plusieurs années à une disposition majeure prévue par la loi sur la radiodiffusion publique : l’établissement d’une société unique de radiodiffusion publique à l’échelle nationale, commune aux deux entités fédérées, et dont le partage des recettes entre les trois radiodiffuseurs serait le corollaire. Ainsi, verser sa part des revenus à la BHRT reviendrait de facto à reconnaître l’existence d’une telle institution, moins perméable aux pressions politiques des partis régionaux.
“L’accès à une information pluraliste et fiable en Bosnie serait grandement mis en danger si la BHRT était amenée à disparaître, au moment où le pays prépare les élections législatives d’octobre 2022 et où les tensions géopolitiques dans les Balkans sont ravivées par la guerre en Ukraine,déclare Pavol Szalai, responsable du bureau UE/Balkans de RSF. Au lieu d’une application à géométrie variable, nous appelons la RTRS à respecter pleinement la loi sur la radiodiffusion et donc à répartir les recettes entre les trois radiodiffuseurs publics du territoire de manière juste. Les institutions doivent en outre trouver en urgence une solution économique pérenne pour la BHRT, afin que le blocage de ses comptes cesse de menacer la liberté de la presse dans le pays.”
Si RSF salue la mobilisation des députés de divers partis qui ont formulé plusieurs propositions encourageantes lors d’une session au Parlement central de Bosnie consacrée à la BHRT le 27 avril, il est essentiel que celles-ci soient suivies d’effets juridiques concrets. Les députés des autres partis - en particulier ceux des partis serbe (SNSD) et croate (HDZ), qui, par leur absence, ont récemment bloqué la tenue d’une séance - doivent s’engager à voter en faveur de ces propositions. Parmi celles-ci, l’appel à des modifications de la loi afin d’assurer un financement durable des trois services publics de radiodiffusion, ainsi que la demande faite au Conseil de radiodiffusion publique du pays de concevoir un nouveau modèle de collecte unique de redevance sur tout le territoire apparaissent particulièrement pertinentes.
RSF appelle de surcroît la Haute Cour de commerce de Banja Luka (la capitale de Republika Srpska), saisie en appel, à casser la récente décision du tribunal inférieur selon laquelle RTRS n’est pas tenue de rétribuer la BHRT. La Cour devrait ainsi se conformer au jugement de première instance de la Cour d'État de Bosnie-Herzégovine, qui s’était prononcée en faveur de la BHRT, avant de finalement se déclarer incompétente pour juger de l’affaire en 2018.
La sauvegarde de cet organisme public est d’autant plus importante que son bon fonctionnement est l'une des 14 conditions fixées par la Commission européenne pour accorder au pays le statut de candidat à l’adhésion à l'Union européenne. Sa nécessaire survie avait d’ailleurs fait l’objet d’une lettre signée par plusieurs députés européens en 2017, à laquelle RSF avait souscrit.
La Bosnie figure à la 59e place sur 180 au Classement mondial pour la liberté de la presse établi par RSF en 2021.