Après le “
gros canard jaune”, c’est le crapaud qui s’attire les foudres de la censure chinoise. L’installation dans un parc pékinois d’une statue de cet animal haute de 22 mètres a suscité les moqueries des promeneurs, qui l’ont assimilé à un ancien président, Jiang Zemin. Les références à l’amphibien ont été ensuite systématiquement effacées du site de l’agence étatique
Xinhua.
Si cet exemple prête à sourire, la censure et la répression prennent souvent des formes plus radicales.
Dong Rubin, connu sous le pseudonyme de
Bianmin, n'hésite pas à critiquer les fonctionnaires locaux dans la province du Yunnan (Sud), dont il est originaire. Le blogueur s’est opposé à plusieurs reprises à leurs projets, notamment la construction d’une usine pétrochimique près de Kunming en 2013, qui avait entraîné de vastes protestations. Cela lui avait déjà valu d'être
arrêté et perquisitionné. Alors qu’il se retrouvait de nouveau devant la justice, le 23 juillet 2014, sa fille est la seule de ses proches à avoir été autorisée à se rendre au tribunal. La condamnation de Dong Rubin à six ans et demi de prison par un tribunal du district de Wuhua s’inscrit dans la politique officielle de “lutte contre les rumeurs” en ligne, et dans une vague d’arrestations et de poursuites à l’encontre des journalistes et blogueurs chinois. Il a également été condamné à une amende de 350 000 yuans (environ 42 000 euros).
“
Cette condamnation, au terme d’un procès inique, démontre à la fois la volonté des autorités de museler toute voix critique et leur fragilité face au nombre croissant de net-citoyens et de lanceurs d’alerte. Les officiels du Parti, et les élites politico-administratives en général, se sentent continuellement menacés par la liberté de ton et le droit à la critique revendiqués par les blogueurs. Quand comprendront-ils que pour chaque net-citoyen condamné, cent autres s’engagent dans le combat contre la censure et pour la liberté de l’information ?”, déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières.
Les nouvelles réglementations déjà mises en oeuvre
De nombreux journalistes s’interrogeaient sur les délais de mise en oeuvre des nouvelles règles publiées par les organes de censure du PCC au cours du mois de juillet 2014. Celles-ci interdisent notamment aux journalistes de révéler des secrets d’Etat, d’émettre des critiques non autorisées, ou encore de travailler avec des médias étrangers. La réponse ne s’est pas fait attendre très longtemps : le journaliste
Song Zhibiao en est la première victime. Il a été congédié par le mensuel
China Fortune après avoir publié sur le site hongkongais
Orient, propriété du groupe de presse Oriental Press. Si aucun article en particulier ne semble avoir été incriminé, la publication, le 2 juillet dernier, d'une chronique sur
Pu Zhiqiang, défenseur des droits de l'homme maintenu en détention depuis plus de deux mois, pourrait avoir suscité la sanction.
China Fortune, qui appartient au
Southern Metropolis Daily, aurait directement reçu l’ordre de mettre un terme au contrat du journaliste de la part du Département de la propagande.
Song Zhibiao avait déjà fait l’objet d’un licenciement abusif, en 2011, alors qu’il travaillait pour le
Southern Metropolis Daily. Il avait été contraint de quitter le quotidien suite à un article commémorant les trois ans du tremblement de terre du Sichuan, qui mettait en cause la responsabilité des autorités dans la catastrophe et ses conséquences.
Internet, outil au service de la propagande
L’organisation non gouvernementale Free Tibet a récemment révélé l’existence d’une centaine de faux comptes Twitter, dont le contenu vise à promouvoir la politique chinoise au Tibet et dénigrer les defenseurs de la cause tibétaine. Affichant des noms occidentaux et utilisant souvent le visage de célébrités américaines en photo de profil, ils publient et relaient des attaques verbales, notamment à l’encontre du Dalai Lama. Certains messages ont été repris plusieurs milliers de fois. Suite à ces révélation, Twitter a annoncé chercher à suspendre ces faux comptes.
“La politique de censure et de désinformation des autorités est particulièrement visible quand il s’agit de la question tibétaine ou ouïghoure. Les autorités perdent alors toute retenue. Tous les moyens sont bons pour isoler davantage le Tibet et le Xinjiang, qui deviennent de véritables trous noirs de l’information”, déclare Benjamin Ismaïl.
Une étude de l’organisation Uyghur Human Rights Project, publiée le 16 juin dernier, a révélé que 80% du contenu des sites Internet ouïghours avait été détruit au cours d’une sorte d’“autodafé numérique” entre 2009 et 2010, suite à la répression du mouvement de contestation ouïghour. En octobre 2009, soit trois mois après le début des émeutes meurtrières au Xinjiang, Reporters sans frontières avait mené une
enquête sur la situation de l’accès aux sites Internet dédiés à la communauté ouïghoure. L‘organisation avait notamment observé que la plupart des sites réalisés par ou pour des Ouïghours étaient inaccessibles, qu’ils soient basés au Xinjiang ou à l’étranger, et dans quelque langue qu’ils soient rédigés. Sur 91 sites répertoriés, plus de 85% étaient bloqués, censurés ou hors d’atteinte.
La Chine se positionne à la 175e place sur 180 pays dans le
Classement mondial de la liberté de la presse 2014 établi par Reporters sans frontières.