Bangladesh : inquiétante recrudescence de violences orchestrées par des élus locaux contre des journalistes
Dans deux attaques différentes, deux journalistes ont été gravement blessés parce qu’ils avaient enquêté sur des malversations liées à la distribution de riz aux populations défavorisés du pays. Reporters sans frontières (RSF) appelle le gouvernement de Dacca à s’assurer que ces crimes ne restent pas impunis.
Les yeux enflés et cernés, la gorge couverte de lésions, des ecchymoses sur tout le corps... Voilà à quoi ressemblait le vidéo-blogueur Sagor Chowdhury, rédacteur en chef du site d'information 360 Degrees, après avoir été violemment battu par cinq hommes, dans la matinée du 31 mars, dans le district de Bhola, sur la côte sud du Bangladesh. À la tête des assaillants, qui ont tenté de l’étrangler, un certain Nabil Haider, fils du maire du canton de Burhanuddin.
Sagor Chowdhury s’est fait agressé après avoir diffusé un reportage vidéo dans lequel il montrait que plusieurs kilos de riz, envoyés par le gouvernement central aux familles de pêcheurs du littoral, avaient été détournés pour être revendus au marché noir. Nabil Haider a menacé de tuer le journaliste s’il s’avisait de reposter la vidéo sur les réseaux sociaux.
Grièvement blessé
Le lendemain de cette attaque un autre reporter, Shah Sultan Ahmed, correspondant du quotidien Sangbad Pratidin à Habiganj, dans le nord-est du pays, a lui aussi été violemment pris à partie et grièvement blessé. Cette fois, ce sont près de 25 individus qui l’ont attaqué, emmenés par le maire du canton, armé d’une batte de cricket.
Au moins cinq autres reporters ont également été agressés en essayant de lui porter secours, dont Mujibur Rahman, correspondant du quotidien Dainik Amar Sangbad, Bulbul Ahmed, de la chaîne TV Channel S, et Habiganj Sultan, reporter pour le Dainik Protidiner Sangbad.
Là encore, c’est un article sur des malversations liées à la distribution de riz aux populations défavorisées qui a déclenché ce déferlement de violence. Un reportage réalisé par Shah Sultan Ahmed montrait, notamment, le témoignage de villageois affirmant n’avoir reçu que cinq kilos de riz, alors que dix leur étaient destinés.
“Violences inacceptables”
“Il n’est pas tolérable que des journalistes qui tentent d'informer sur la situation des plus opprimés et leurs droits se retrouvent ainsi sur des lits d’hôpital, déclare Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Ces terrifiants accès de violences sont d'autant moins acceptables qu’ils proviennent ouvertement de responsables politiques locaux. Nous appelons le ministre bangladais de la Justice, Anisul Huq, à tout mettre en œuvre pour que les exécutants et les commanditaires de ces agressions soient traduits devant un tribunal indépendant.”
Après que Sagor Chowdhury a porté plainte, la police a arrêté à son domicile Nabil Haider, le meneur de l’attaque qui avait diffusé une vidéo de l’agression en direct sur Facebook. Quand aux journalistes d’Habiganj, tous ont été emmenés d'urgence à hôpital. La police a indiqué qu'elle lancerait une enquête quand les victimes seraient en mesure de déposer plainte.
Le soir du 31 mars, un troisième drame a par ailleurs été évité de justesse. Dans la capitale, Dacca, un reporter du journal The New Age, Habib Khan, a vu son domicile du quartier de Tangai cerné et assailli par un gang de dealers à deux-roues après qu’il eut dénoncé leurs activités le jour-même. Le journaliste a pu prévenir à temps la police qui s’est immédiatement déplacée, faisant fuire les assaillants.
Le Bangladesh se situe actuellement à la 150e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établie par RSF.