Au Bélarus, l'appareil de propagande atteint par la purge des médias
Les journalistes travaillant dans les médias d’État biélorusses n’échappent plus à la répression, devenue frénétique, d’Alexandre Loukachenko depuis sa réélection frauduleuse, il y a trois ans. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une nouvelle vague d’attaques, d’un régime qui ne connaît plus que la répression.
Elle s’est rendue aux forces de l’ordre devant la porte de son appartement pour ne pas choquer ses enfants. Ioulia Davletova, journaliste de Ranak, la télévision locale de la petite ville de Svietlahorsk, a été arrêtée le 3 août, puis, au prix de l’enregistrement d’une vidéo de repentance – pratique courante d’humiliation des journalistes par la police biélorusse –, libérée le jour même. Quelques semaines auparavant, cette chaîne, pourtant prudente, qui ne s’opposait pas frontalement au récit officiel, a été labellisée “extrémiste” puis fermée, suite à sa couverture d’un accident industriel mortel de juin 2023. Une partie des équipes avait passé quelques jours en prison.
“Trois ans après la réélection frauduleuse de Loukachenko au Bélarus et sa répression brutale des voix critiques, les médias indépendants comme Ranak sont en voie de disparition. À l’image de la destruction violente et soudaine de cette chaîne malgré une certaine autocensure, qui ne l’a pas protégée, le régime continue de serrer la vis de la censure et s’attelle désormais à faire le ménage dans les équipes de ses propres médias au moindre soupçon de manque d’allégeance. RSF dénonce une nouvelle salve de violences et de décisions autoritaires d’un régime qui semble aux abois
Dans les médias d'État, il suffit d’une “mauvaise” source ou d’un mot de travers pour s’attirer les foudres du pouvoir. Ceux-ci manquent donc de main-d’œuvre (servile) : “Il y a un vrai besoin de reconstituer le personnel des médias d'État”, a déclaré le doyen de la faculté de journalisme de l’Université publique à la chaîne d’État BelTa le 4 août. À Homiel par exemple, grande ville du sud-est du Bélarus, le radiodiffuseur Homiel et la radio HomielFM cherchent à recruter massivement suite à deux purges de leurs rédactions en novembre 2022 et en mai 2023. L’une des vagues de licenciements a été justifiée par la diffusion d’un sujet s’appuyant sur une source listée par les autorités comme “extrémiste”. Cette liste, qui s’allonge quotidiennement, compte des milliers de noms sur plus de 800 pages. Le journal Vetchernyj Brest, pourtant modérément libéral, est par exemple passé du côté des “matériaux extrémistes”, du jour au lendemain, sans aucune explication.
Réalisateur de nombreuses émissions pour la télévision d’État, Andreï Pintchouk a quant à lui été convoqué par la police, début 2023. Dans la foulée de cet “entretien préventif” avec les forces de l’ordre, il a été licencié, suspecté d’avoir critiqué les autorités en coulisse. Cette accusation illustre par ailleurs le climat de peur et de surveillance permanent dans les rédactions.
La sanction est encore plus terrible, pour ceux qui s’éloignent ouvertement du discours officiel. Ex-employés des médias d’État, puis journalistes pigistes ou dans des médias indépendants, Ksenia Loutskina, Dzmitry Loukcha et Dzmitry Semtchanka croupissent aujourd’hui en prison. Leur désertion des premiers rangs des “porte-paroles” du pouvoir en place a été aussitôt punie.
L’ancienne manager à la télévision d’État, Olga Gladka, avait décidé de se reconvertir dans un autre secteur à la veille des révoltes d’août 2020. Ce mauvais timing lui a valu d’être condamnée à 3 ans d’assignation à résidence, le 3 mai 2023. En effet, à l’été 2020, des vagues de démissions avaient poussé les chaînes propagandistes biélorusses à faire appel au soutien de leurs alliés russes, à l’image des équipes du média d’État russe RT venus pallier les départs chez BT, la compagnie de radio et de télévision nationale. Dans les mois qui ont suivi, une grande partie des journalistes indépendants avait dû fuir le Bélarus face à la terrible répression du régime. Aujourd’hui, ils sont 35, enfermés dans les prisons du régime, et près de 500 à avoir fui à l’étranger.
Trois ans après, le Bélarus est devenu l’une des terres les plus hostiles au journalisme au monde et occupe la 157ᵉ place sur 180 dans le Classement mondial de la Liberté de la Presse de RSF de 2023.