Attaques répétées: des journalistes nicaraguayens manifestent pour une protection efficace
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Exaspérés par les agressions répétées dont ils font l'objet, une soixantaine de journalistes nicaraguayens se sont rassemblés au siège central de la police nationale, le 17 juillet 2014, pour exiger d'être efficacement protégés lorsqu'ils couvrent des manifestations d'opposants au gouvernement.
La police trop passive ? C’est en tout cas ce que lui reprochent les journalistes, notamment face aux attaques perpétrées par des partisans du gouvernement, qui s'en prennent souvent violemment et aveuglément tant aux manifestants de l'opposition qu'aux journalistes présents sur les lieux des protestations. Ces groupes, composés de motards, accompagnent le couple présidentiel et les dignitaires du gouvernement lors des manifestations officielles du Front sandiniste, parti qui depuis 2006 tient fermement les rênes du pouvoir, après 16 ans passés dans l'opposition.
Le 16 juillet, une équipe de télévision de Canal 12 couvrait une manifestation devant le Conseil suprême électoral, bâtiment situé exactement en face de l'édifice principal de la police nationale. À l'arrivée de la « brigade motorisée » venue disperser les protestataires, le cameraman Xavier Castro, pris à partie par un individu casqué et armé d'un bâton, a dû utiliser sa caméra comme bouclier pour se protéger et a assisté impuissant à la destruction de son outil de travail. La police n'est pas intervenue sur le moment et la plainte qu'il a déposée postérieurement n'a, à son avis, pas fait l'objet d'attention suffisante de la part des fonctionnaires qui l'ont reçue. Le journaliste de Canal 2, Edgardo Trejos exprime la même doléance : le 9 juillet, il a été brutalement percuté par le chauffeur du véhicule du directeur des entrepôts du ministère de la Santé, alors qu'il tentait d'interroger ce dernier. “La plainte déposée à la suite de cette agression n'a fait l'objet d'aucun suivi,” s'est indigné le journaliste.
“Reporters sans frontières soutient les demandes des journalistes nicaraguayens, déclare Camille Soulier, responsable du bureau Amériques de l’organisation. Leur protection doit être garantie par la police, qui a pour mission d'assurer la sécurité de tous les citoyens, quelles que soient leurs opinions. Il est indispensable que les agressions et les intimidations à l'encontre des journalistes fassent l'objet d'une enquête exemplaire et ne restent pas impunies.”
Les 82 signatures apposées au bas de la lettre remise par les journalistes à la direction de la police nationale n'ont, semble-t-il, pas impressionné le Commissaire Fernando Borge, porte-parole de l'institution. Se refusant à tout commentaire, celui-ci a affirmé n'avoir aucune connaissance des faits récents qui ont motivé l'action collective des journalistes. Ces derniers se sont par ailleurs plaints d'avoir été filmés à la sortie du commissariat. Ce climat de suspicion où le simple fait de poser une question peut être considéré comme un acte répréhensible, constitue un terreau fertile pour la pratique de l'autocensure et constitue un obstacle à l'exercice serein de la profession.
Les échanges entre gouvernement et opposants par médias interposés ont pu être très virulents au Nicaragua. Toutefois, malgré l’extrême polarisation de la presse, les journalistes avaient pour règle de faire front commun lorsque l’un d’eux était pris pour cible, indépendamment de leur ligne éditoriale. Désormais, certains journalistes accolent à leur fonction le terme « indépendant » – peu utilisé auparavant –, pour se démarquer des journalistes employés par les médias identifiés comme favorables au gouvernement. Ces derniers jouiraient d'un accès privilégié à certains événements officiels.
La culture du secret entretenu par nombre de hauts fonctionnaires du gouvernement est d'autant plus préoccupante lorsqu'elle concerne des informations d’intérêt public contribue à exacerber le sentiment général que questionner le manque de transparence dans la diffusion d'information équivaut à un acte de trahison des intérêts de la Nation. De ce fait, elle expose ceux qui portent ou diffusent un point de vue critique à la vindicte d'une partie de l'opinion publique acquise à la position officielle, qui se sent encouragée à la défendre, y compris par des moyens coercitifs.
Le débat d'idées, pour nécessaire qu'il soit, ne peut en aucun cas trouver sa légitimité dans l'emploi de la violence. C'est dans ce sens que doit être fermement condamnée, l'attaque armée qui, dans la nuit du 19 juillet, a frappé un bus de sympathisants du Front sandiniste de libération nationale. Ces embuscades qui se sont soldées par la mort de cinq personnes et des dizaines de blessés, cherche à raviver de la manière la plus odieuse, le souvenir des moments les plus sombres de la guerre qui a frappé le Nicaragua et causé des dizaines de milliers de victimes entre 1980 et 1990.
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Updated on
20.01.2016