Algérie : le chantage aux accréditations
Plusieurs correspondants de médias étrangers en Algérie attendent, depuis des mois, le renouvellement de leurs accréditations. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une forme de pression exercée sur les journalistes et notamment les médias étrangers et appelle les autorités à davantage de transparence dans son processus de renouvellement de ces autorisations.
L’Algérie se prépare à élire ses nouveaux députés dans un mois, mais, faute d'accréditation, nombre de correspondants travaillant pour des médias étrangers ne savent toujours pas s’ils pourront, ou non, couvrir le scrutin du 12 juin prochain. Comme chaque année, les accréditations permettant aux journalistes étrangers de travailler légalement en Algérie ont expiré au 31 décembre. Or, aucune n’a encore été renouvelée à ce jour. Si le délai de renouvellement est habituellement long, l’accord tacite qui permettait jusqu’à présent aux journalistes de continuer à couvrir l’actualité, en attendant de recevoir leur nouvelle accréditation, ne semble plus tenir depuis le début de l’année.
“Généralement, nous attendons dans la plus grande incertitude jusqu’aux mois d’avril - mai, voire août pour recevoir l'accréditation de l’année en cours, témoigne un correspondant pour un média étranger auprès de RSF. Entretemps, nous continuons de couvrir différents événements, dont le Hirak [le mouvement de contestation anti-régime dans le pays, ndlr]. Du moins jusqu’au 16 avril 2021, date à laquelle j’ai été arrêté par des policiers en civil, qui m’ont annoncé que je n’avais plus le droit d’en assurer la couverture en images.”
Même les médias ayant bénéficié d’une prolongation provisoire de leur accréditation ne se sentent pas à l’abri des pressions. “Le ministère de la Communication m’a fourni un document pour prolonger mon accréditation jusqu’à la remise de celle couvrant l’année 2021, explique le correspondant d’une télévision étrangère à Alger. Mais même si rien de particulier ne m’a été signifié pour la couverture du Hirak, on ne couvre plus le mouvement comme avant.” Les journalistes savent en effet que cette prolongation peut être révoquée à tout moment et sans raison officielle par le ministère de la Communication.
Le correspondant d’une agence étrangère s’est ainsi récemment vu signifier une interdiction de filmer les manifestations du Hirak au prétexte d’une accréditation expirée. Un peu plus tôt, en mars, la chaîne de télévision France 24 a été menacée d’un “retrait définitif” d’accréditation en raison de sa couverture du Hirak jugée partiale par le ministère de la Communication. En septembre 2020, les équipes de la chaîne de télévision française M6 ont également reçu une interdiction d’opérer, à la suite de la diffusion du documentaire “Algérie, pays des révoltes", jugé “biaisé" et réalisé avec “une fausse autorisation de tournage”.
“Les accréditations ne doivent pas être un objet de chantage ou un moyen de pression sur les médias qui ‘dérangent’ par leur couverture des manifestations du Hirak, s’inquiète le directeur du bureau RSF Afrique du Nord, Souhaieb Khayati. Reporters sans frontières appelle les autorités algériennes à faire preuve de transparence dans son processus de renouvellement des accréditations et à tout mettre en oeuvre pour permettre aux différents médias présents sur le territoire de couvrir dans de bonnes conditions les élections à venir,”
A ce jour, plusieurs correspondants locaux n'ont toujours pas obtenu d'accréditations spécifiques pour la couverture des élections, ce qui leur ferme les accès aux bureaux de vote, aux centres de tris et à la conférence de presse au moment de l'annonce des résultats.
L'Algérie figure à la 146e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF. Le pays a perdu 27 places depuis 2015.