Albanie : l’Union européenne doit demander des garanties sur la législation anti-diffamation qui menace les journalistes comme une épée de Damoclès
Le premier ministre albanais ne s’est toujours pas engagé à amender ou retirer un projet de loi liberticide qui continue à figurer sur l’agenda du Parlement. Reporters sans frontières (RSF) appelle les institutions européennes à exiger de l’Albanie des garanties claires en phase avec son ambition de rejoindre l’Union européenne.
Alors qu’ils ont été dénoncés à de multiples reprises comme dangereux pour la liberté de la presse par les organisations de journalistes locales et internationales, dont RSF, les amendements à la loi sur les services audiovisuels dits “anti-diffamation” figurent toujours sur l’agenda du parlement albanais.
Ce projet de loi, qui permettrait au régulateur des médias d’infliger des sanctions disproportionnées sur les sites d’information en ligne et risque d’avoir un effet d’auto-censure sur les journalistes, a également été critiqué par l’Union européenne que l’Albanie souhaite intégrer. Dans le but de protection de la liberté de la presse en Albanie, le Conseil de l’Union européenne, la Commission européenne, le Parlement européen ont tous demandé aux autorités albanaises de modifier cette proposition selon les recommandations formulées par la commission de Venise du Conseil de l’Europe en juin 2020.
Contactée en juin dernier par RSF, la Commission européenne affirme que “la majorité a donné des indications claires qu’elle n’adoptera pas cette législation en préparation et qu’elle respectera les recommandations de la commission de Venise si elle devait être adoptée à l’avenir”.
Or, le Premier ministre et chef de la majorité, Edi Rama, ne s’est engagé, pour le moment, ni à suivre l’avis de la commission de Venise, ni à renoncer à ce projet de loi. Depuis septembre 2020, les amendements à la loi sur les services audiovisuels sont donc inscrits dans le registre législatif sans que les journalistes albanais ne soient informés sur son sort ou associés à la réflexion du gouvernement. Plusieurs d’entre eux ont fait part à RSF des craintes que sans engagement clair et public, ce projet de loi peut toujours être voté dans sa version initiale.
“La législation dite anti-diffamation est suspendue au-dessus des journalistes albanais comme une épée de Damoclès. Nous demandons aux institutions européennes en général, et à la Commission européenne en particulier, d’exiger des autorités albanaises des garanties claires et publiques pour que cette législation, incompatible avec le projet de l’Albanie d’intégrer l’Union européenne, soit retirée ou amendée conformément à l’avis de la commission de Venise et en consultation avec les journalistes locaux,” déclare le responsable du bureau UE/Balkans de RSF, Pavol Szalai. “Les médias albanais ne sauraient être condamnés à une attente insupportable et indéterminée par un gouvernement qui s’est illustré par des atteintes à la liberté de la presse.”
Si la majorité au pouvoir peine, en effet, à trancher sur ce projet législatif, elle s’est précipitée - sans attendre la session du nouveau parlement incluant les partis d’opposition suite aux législatives de printemps dernier - pour lancer la procédure d’élection du président du régulateur des médias indépendant, l’Audiovisual Media Authority (AMA). Un des deux candidats retenus pour la présidence par la commission des médias du parlement est l’ancienne communicante du Premier ministre Edi Rama, Armela Krasniqi, qui a fait la plupart de sa carrière au service du Parti socialiste d’Albanie. Sous le contrôle de ce parti présidé par le chef du gouvernement, le parlement albanais a voté, en décembre 2019, le projet de loi “anti-diffamation” qui n’est pas entré en vigueur seulement grâce au refus de l’opposant politique du premier ministre, le président albanais, un veto qui peut être levé lors d’une nouvelle lecture.
L’Albanie occupe la 83e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.