Afrique du Sud : une avancée majeure pour le droit à l’information face aux plateformes impulsée par l’autorité de la concurrence, RSF y contribue

L’Autorité de la concurrence sud-africaine accuse Google et Meta de pratiques anticoncurrentielles envers les médias. Elle propose un encadrement ambitieux, en phase avec les recommandations de Reporters sans frontières (RSF), visant notamment à mieux valoriser les contenus journalistiques – une approche qui pourrait inspirer les démocraties désireuses de réguler les géants du numérique. 

Inégalités dans le partage de la valeur, dépriorisation des contenus de presse dans les algorithmes de Facebook, monopoles de Google sur le marché des moteurs de recherches, nécessité de rééquilibrer les conditions de négociation entre médias et concepteurs d’intelligence artificielle (IA)... L’état des lieux dressé par l’Autorité de la concurrence d’Afrique du Sud dans un rapport préliminaire publié fin février est exhaustif et accablant pour les acteurs du numérique. 

En reconnaissant les “externalités positives” de la presse sur le public sud-africain, l’Autorité rappelle que les plateformes bénéficient  d’avantages concurrentiels du fait de la présence de contenus journalistiques sur leur service : elle leur permet de mieux capter l’attention du public - une analyse à rebours de celle de Google qui considère la valeur marchande de la presse comme négligeable pour son chiffre d’affaires. 

Avant la publication du rapport final de l’Autorité, qui doit formuler des recommandations à l’attention des décideurs politiques, RSF, qui soutient les conclusions du rapport préliminaire, exprime aussi son inquiétude : que l’industrie ne cherche pas, une fois encore, à en vider la substance – comme cela a été le cas avec le Code de bonnes pratiques européen sur l’IA.

“L’Autorité de la concurrence sud-africaine a rédigé un rapport préliminaire inspirant, qui distingue le journalisme et sa valeur dans les contenus médiatisés par les plateformes ! S’il témoigne d’une compréhension fine de la difficulté de trouver un modèle de financement viable pour les médias en ligne dans un environnement dominé par une poignée d’acteurs non régulés, ses conclusions posent les bases d’une régulation démocratique et ambitieuse des réseaux sociaux et de l’IA générative en Afrique du Sud, et ailleurs. Il est heureux qu’une autorité publique reconnaisse que ces entreprises ont une responsabilité pour garantir l’intégrité des informations auxquelles ils donnent accès. RSF encourage l’Autorité à renforcer ses recommandations en s’inspirant de sa contribution, et ainsi cadrer le débat public sur les problèmes concrets des médias, de la liberté de la presse et du droit à l’information.

Vincent Berthier
Responsable du bureau technologies et journalisme

Afin de perfectionner les solutions proposées dans le rapport actuel pour favoriser la mise en place d’une politique effective de protection du droit à l’information fiable sur les réseaux sociaux et les outils fondés sur l’IA générative à l’échelle de l’Afrique du Sud et au delà, RSF a envoyé ses recommandations le 7 avril.

Les recommandations de RSF à l’Autorité de la concurrence sud-africaine : 

1. Obligation de visibilité des sources d’information fiables

Les grandes plateformes numériques jouent un rôle central dans l’accès à l’information. Elles ont donc une responsabilité démocratique : garantir la visibilité des sources d’information fiables. Leurs logiques commerciales ne doivent pas entraver la diffusion du journalisme de qualité, en particulier sur des sujets d’intérêt public majeur.

2. Promotion des médias certifiés par la JTI

Les plateformes devraient accorder une visibilité prioritaire aux sources d’information reconnues comme fiables selon des critères transparents, tels que ceux de la Journalism Trust Initiative (JTI), développée par RSF. Ce système de certification, basé sur un standard de type ISO, distingue les médias respectant des normes éthiques et professionnelles. Sa promotion renforce la confiance du public et la qualité de l’information en ligne.

3. Redistribution des revenus publicitaires

Les plateformes dominantes doivent partager une partie de leurs revenus publicitaires avec les médias produisant un journalisme d’intérêt public indépendant. Cette redistribution est essentielle pour soutenir un écosystème médiatique diversifié et garantir le droit des citoyens à une information de qualité.

4. Interdiction des tests unilatéraux de retrait de contenu de presse

Les plateformes ne doivent plus réduire de manière unilatérale la visibilité des contenus de presse (par exemple en les supprimant des résultats de recherche ou des flux d’actualités), notamment en réaction à des projets de loi. Ces pratiques, déjà observées (Meta en Australie et au Canada ; Google dans neuf pays, dont sept en Europe), portent atteinte à la diversité médiatique et au droit du public à l’information. En France, RSF s’est joint, avec succès, à une plainte du syndicat de la presse magazine, le SEPM, au tribunal de commerce de Paris pour empêcher cette expérimentation qui portait atteinte au droit à l’information. 

5. Consentement explicite pour l’utilisation des contenus des médias dans les systèmes d’IA

Les médias doivent pouvoir choisir s’ils autorisent ou non l’utilisation de leurs contenus dans les bases de données servant à entraîner les systèmes d’IA. Pour cela, le droit “d’opt-in” doit être instauré, au lieu de la possibilité “d”opt out” par défaut

6. Négociations collectives pour un partage équitable des revenus

Les développeurs d’IA doivent être tenus de négocier collectivement avec les médias afin de définir une rémunération équitable pour l’usage des contenus journalistiques.

7. Traçabilité et redirection vers la source

Les chatbots et outils d’IA ne doivent être autorisés à accéder aux contenus journalistiques que s’ils redirigent clairement les utilisateurs vers la source originale via un lien cliquable. 

8. Promotion de sources crédibles et diversifiées

Les systèmes d’IA doivent être conçus pour valoriser en priorité les contenus issus de sources professionnelles, crédibles et pluralistes, en reflétant la diversité des opinions dans une société démocratique.

9. Évaluation indépendante des risques

Les développeurs d’IA doivent réaliser des évaluations indépendantes des risques sociaux et démocratiques liés à l’usage de leurs outils, notamment sur la fiabilité et la diversité des informations diffusées.

10. Encourager un usage éthique de l’IA dans les rédactions

Les médias devraient adopter les principes éthiques énoncés par l’Unesco et la Charte RSF sur l’IA et le journalisme. L’utilisation d’outils d’IA pour le journalisme augmenté est souhaitable, à condition qu’elle repose sur des règles d’utilisation claires, une transparence vis-à-vis du public et une supervision humaine à toutes les étapes de la production.

Afrique
Afrique du Sud
Découvrir le pays
Image
38/ 180
Score : 73,73
Publié le
Updated on 17.04.2025