Afghanistan : neuf journalistes arrêtés en moins de deux semaines
Plusieurs journalistes ont été arbitrairement arrêtés par les forces de sécurité talibanes ces 13 derniers jours, dans un élan de répression inédit en 2023. Alors que le régime célèbre les deux ans de sa prise de pouvoir, Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités talibanes la libération sans condition des journalistes restés détenus.
Neuf journalistes arrêtés en moins de deux semaines : le chiffre fait froid dans le dos. Faqir Mohammad Faqirzai, Jan Agha Saleh, Haseeb Hassas, Habib Sarab, Sayed Wahdatullah Abdali, Shamsullah Omari, Wahidrahman Afghanmal, Ataullah Omar et Parwiz Sargand, ont été arrêtés en août, sans motif communiqué, dans cinq provinces différentes de l'Émirat islamique. Pour la plupart, le lieu de détention reste inconnu.
“C’est le règne de la peur et de l’incertitude. Deux ans après l’instauration du régime, ces nombreuses arrestations disqualifient une nouvelle fois les garanties données par certaines autorités talibanes sur le respect de la liberté de la presse. Le bilan des atteintes au droit à l’information est lourd, le régime en est pleinement responsable. RSF appelle avec force les autorités talibanes compétentes à ordonner immédiatement la libération des journalistes détenus et à garantir enfin la liberté de la presse.
Augmentation des raids
Les expéditions surprises contre les sites d’information et le personnel de médias indépendants se succèdent, à une vitesse affolante ces dernières semaines. Le 31 juillet dernier, un raid des forces de sécurité avait entraîné la fermeture des chaînes de télévision et radio Hamisha Bahar, Nen et Jawanan dans la province de Nangarhar - dans l’est de l’Afghanistan, terrorisant les employés sur place.
Le 6 août, Sayed Wahdatullah Abdali, travaillant pour l’agence de presse Bakhtar, est arrêté à Ghazni, capitale de la province éponyme, dans l’est du pays. Trois jours plus tard, dans la province voisine de Paktia, c’est au tour de Habib Sarab, employé de la chaîne privée d’information Ariana News TV Network, qui a été embarqué par les services de renseignement talibans. Le lendemain à 11 heures, une arrestation de plus dans la province de Kunduz au nord du pays, celle de Haseeb Hassas journaliste pour la radio nationale d’information et de divertissement Salam Watandar.
Le même jour à 15 heures, de nouveau dans la province de Nangarhar, c’est au tour de Radio Kilid - l’une des stations les plus populaires du pays, qui diffuse des programmes culturels, éducatifs et sociaux - d’être victime d’une énième descente des forces de sécurité, avec cette fois l’arrestation de l’un de ces responsables, Faqir Mohammad Faqirzai, ainsi que le reporter Jan Agha Saleh, sans aucune explication communiquée jusqu’à lors.
La déferlante continue en ce 13 août dans la province de Kandahar. Lors d’un nouveau raid, les forces de sécurité ont interpellé trois journalistes : Ataullah Omar, reporter pour le média international d’information ToloNews et Wahidrahman Afghanmal reporter pour un média local. Ce dernier a été libéré le 14 août. Plaidant auprès des autorités locales pour la libération de ses confrères, le journaliste d’un autre média local, Shamsullah Omari, a également été arrêté. Du côté d’Asadabad, dans la province montagneuse de Kunar, le même jour, Parwiz Sargand, journaliste local et représentant du Syndicat national des journalistes afghans (Afghanistan's National Journalists Union, ANJU) a également subi le même sort. Cela porte à 12 le nombre de journalistes détenus dans le pays, incluant le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi, détenu depuis le 7 janvier par les talibans.
Promesse non tenue
Toutes ces attaques ont visé des médias indépendants. Ce qui inquiète désormais le plus, c’est qu’elles ont été en grande partie réalisées par les forces de sécurité, avec l’appui pour au moins cinq d’entre elles, de la Direction générale des renseignements (General Directorate of Intelligence, GDI), sans même que ces affaires ne soient présentées à la Commission des violations des médias (Media Complaints and Rights Violations Commission, MCRVC). Rétablie en 2022 après un an de suspension, cette commission était pourtant censée empêcher l'ingérence d'autres départements dans les affaires des médias et de permettre à un groupe “neutre” d’enquêter sur chacune des violations rapportées, selon l’ancien vice-ministre de l’Information Zabihullah Mujahid, aujourd’hui porte-parole du régime.
Force est de constater qu’au bout de plusieurs mois, aucune garantie de protection n’a été respectée par le ministère en question. De plus, les actes de répression envers les médias se font systématiquement au nom de la charia, sans aucun respect de la loi sur les médias de masse. Alors que l’écrasante majorité des professionnels réclament la reconnaissance de cette loi par les autorités, l’avenir du journalisme indépendant en Afghanistan s’assombrit. Malgré les exigences liberticides d’un régime islamiste de plus en plus agressif, les médias “libres” tentent de survivre, comme l’a récemment montré le récit de plusieurs journalistes à Reporters sans frontières.