Turquie : RSF dénonce l’acharnement punitif contre les anciens collaborateurs de Cumhuriyet
Reporters sans frontières (RSF) dénonce fermement la condamnation en appel de quatorze anciens journalistes et collaborateurs de Cumhuriyet à des peines allant jusqu’à plus de huit ans de prison.
La cour d’appel régionale d’Istanbul a confirmé, ce 19 février, les verdicts contre quatorze anciens journalistes et collaborateurs du quotidien Cumhuriyet. Ils avaient été reconnus coupables “d’assistance à une organisation terroriste” et “propagande terroriste” en avril 2018, au terme d’un procès suivi de près par RSF.
“Comme si le calvaire des anciens collaborateurs de Cumhuriyet n’avait pas assez duré, les autorités turques sont donc déterminées à aller jusqu’au bout de leur opération punitive, constate Erol Önderoğlu, représentant de RSF sur place. Quand comprendront-elles que le journalisme indépendant n’est pas un affront à laver mais un service rendu à la société tout entière ? Nous réitérons notre appel à casser ces verdicts iniques et resterons aux côtés de nos collègues injustement persécutés jusqu’à ce que justice leur soit enfin rendue.”
L’éditorialiste Kadri Gürsel, le caricaturiste Musa Kart, le comptable Emre İper et les anciens administrateurs du journal Önder Çelik, Mustafa Kemal Güngör, Hakan Karasınır, Güray Öz et Bülent Utku devraient retourner en prison prochainement pour purger le reste de leur peine. S’ils peuvent encore saisir le Conseil constitutionnel, cette procédure n’est pas suspensive. Condamnés à des peines supérieures à cinq ans de prison, le journaliste d’investigation et député Ahmet Şık, les anciens rédacteurs en chef Murat Sabuncu et Aydın Engin, l’ancien directeur exécutif Akın Atalay, l’ancien administrateur Orhan Erinç et le chroniqueur Hikmet Çetinkaya peuvent quant à eux faire appel auprès de la Cour suprême.
Avec leurs collègues en exil Can Dündar et İlhan Tanir, ils sont jugés responsables de la ligne éditoriale libérale, soucieuse des droits des minorités et critique de la dérive autoritaire du président Erdoğan, adoptée par Cumhuriyet entre 2013 et 2018. Des années pendant lesquelles le journal a multiplié les révélations embarrassantes pour le pouvoir : scandales de corruption, livraisons d’armes en Syrie… Fer de lance du journalisme indépendant à un moment particulièrement critique, Cumhuriyet a reçu le Prix RSF pour la liberté de la presse en 2015, avant que cette équipe ne soit écartée par des tenants d’une ligne kémaliste dure plus traditionnelle en septembre 2018.
Pour les juges, ce “changement radical de ligne éditoriale” avait pour but de soutenir les visées de trois “organisations terroristes” hétéroclites. Des accusations essentiellement fondées sur des articles de presse, des contacts avec des sources d’information ou des partenaires commerciaux, et les activités du conseil exécutif du journal, interprétés à la lumière d’une véritable théorie du complot.
La Turquie occupe la 157e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2018 par RSF. Déjà très préoccupante, la situation des médias est devenue critique suite à la tentative de putsch de juillet 2016 : de nombreux médias ont été liquidés sans possibilité de recours, les procès de masse se succèdent et le pays détient le record mondial du nombre de journalistes professionnels emprisonnés.