Turquie : nouvelles pressions contre le journalisme économique
Reporters sans frontières (RSF) s’alarme de la multiplication des poursuites visant le journalisme économique en Turquie. Alors que le reporter Cengiz Erdinç est traîné en justice par une banque publique ce 20 juin, deux correspondants de Bloomberg seront prochainement jugés pour leur couverture de la crise financière.
Quel sujet n’est pas encore tabou en Turquie ? Traiter de l’actualité économique, en tous cas, est de plus en plus dangereux. Accusé “d’atteinte à la réputation” de la banque publique Ziraat, le journaliste Cengiz Erdinç était appelé à la barre ce 20 juin à Istanbul. Il risque la prison pour un article paru en 2016 dans le quotidien Yurt : il y rapportait que l’agence new-yorkaise de Ziraat avait dû mettre un terme à ses services aux particuliers suite à une enquête des autorités financières américaines. Contrairement à la procédure légale, la justice a donné suite à la plainte de Ziraat contre le journaliste sans même demander l’aval des autorités bancaires turques.
Ce procès intervient quelques jours après l’ouverture de poursuites contre deux reporters de l’agence Bloomberg, Kerim Karakaya et Fercan Yalınkılıç, accusés d’avoir cherché à “déstabiliser l’économie”. La justice leur reproche une dépêche parue en août 2018, au plus fort de la crise financière turque. Elle relevait un certain nombre d’incidents témoignant de la panique des banques face à l’effondrement de la livre turque, “sans précédent depuis 2001”. Trente-six autres personnes, dont les journalistes Mustafa Sönmez, Merdan Yanardağ et Sedef Kabaş, sont également poursuivis pour avoir commenté cet article sur Twitter. Tous risquent jusqu’à cinq ans de prison sur le fondement de la loi sur le marché financier. Leur procès débutera le 20 septembre à Istanbul.
La couverture des affaires financières a toujours été difficile sous le règne de Recep Tayyip Erdoğan. Mais ces poursuites marquent une nouvelle escalade : si de nombreux journalistes d’investigation étaient déjà traînés en justice pour leurs enquêtes sur la corruption, c’est aujourd’hui le fondement du journalisme économique qui est visé. Il était jusqu’à présent très rare que des journalistes soient mis en cause sur le fondement des lois sur les banques et le marché financier.
“La Turquie n’a rien à gagner à mettre la tête dans le sable, déplore le représentant de RSF, Erol Önderoğlu. Au contraire, l’information fiable, la transparence et la restauration de l’Etat de droit sont les meilleurs moyens d’inspirer confiance aux investisseurs. Il est dans l’intérêt général de mettre fin à ces poursuites et de respecter le travail des journalistes.”
La Turquie occupe la 157e place sur 180 pays au Classement mondial 2019 de la liberté de la presse établi par RSF. Sur fond de démantèlement de l’état de droit, la situation des médias est devenue particulièrement critique depuis la tentative de putsch de juillet 2016. Le pays détient le record mondial du nombre de professionnels des médias emprisonnés.