Triste bilan de la liberté de l’information après l’arrivée de l’armée au pouvoir
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A l’occasion de l'élection présidentielle des 26 et 27 mai prochains, et la très probable victoire d'Abdel Fatah Al-Sissi, Reporters sans frontières dresse le bilan des onze mois au pouvoir des autorités égyptiennes placées sous la houlette du Maréchal pour les médias, les professionnels de l’information et la situation générale de la liberté de l’information.
Bien que la nouvelle Constitution, adoptée par référendum en janvier dernier, garantisse la protection de la liberté de l’information, le tableau est noir. Entre les case de journalistes tués ou arrêtés, les médias fermés, la liste des exactions est longue.
“La situation de la liberté de la presse s’est considérablement détériorée depuis l’arrivée au pouvoir de l’armée. Au moins 65 journalistes ont été arrêtés en moins d’un an et 17 croupissent toujours en prison”, déclare Lucie Morillon, directrice de la recherche de Reporters sans frontières, avant d’ajouter : “Nous exhortons les autorités égyptiennes à respecter la nouvelle Constitution qui garantit la liberté de la presse. Tous les journalistes actuellement détenus doivent être immédiatement libérés et les charges pesant contre les professionnels de l’information doivent être levées.”
Six journalistes tués
Depuis la destitution du Président Morsi, six professionnels de l’information ont été tués par des tirs à balle réelle. La majorité d’entre eux couvraient des rassemblements pro-Morsi.
Le 8 juillet, le photographe du journal Al-Horreya-Wal-Adalah (“Liberté et Justice”), Ahmed Samir Assem El-Senoussi a été mortellement touché alors qu’il documentait les affrontements devant les bâtiments de la Garde républicaine au Caire. Le 14 août - qualifiée de journée noire dans l’histoire moderne de l’Egypte -, Mick Deane, cameraman de Sky News, Ahmed Abdel Gawad, reporter au quotidien égyptien Al-Akhbar, et Mosab Al-Shami, photo-journaliste, ont été tués alors qu’ils couvraient les affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants pro-Morsi sur la place Rabaa Al-Adawiya, au Caire. Dans la nuit du 19 au 20 août, le directeur du bureau régional du journal égyptien Al-Ahram, Tamer Abdel Raouf, a été tué par balle au niveau d’un checkpoint tenu par l’armée à Damanhur, dans le gouvernorat de Beheira au nord de l’Egypte. Mayada Ashraf, journaliste pour le quotidien Al-Dostour et le site d’information Masr Al-Arabiyya, a été tuée d’une balle dans la tête, le 28 mars 2014. Elle couvrait alors une manifestation organisée par des partisans des Frères musulmans dans le quartier de Aïn Schams au Caire, organisée en réaction à l’annonce de la candidature d’Abdel Fattah Al-Sissi à l’élection présidentielle.
A ce jour, aucune enquête indépendante et impartiale n’a été ouverte pour sanctionner les auteurs de ces assassinats de journalistes.
Arrestations en série
Le nombre des interpellations et des arrestations au cours des onze derniers mois est particulièrement inquiétant. Le Comité de Protection des Journalistes (CPJ) a ainsi recensé plus de 65 cas de journalistes interpellés, arrêtés ou détenus entre le 3 juillet 2013 et le 30 avril 2014. Sont systématiquement visés les médias et les professionnels de l’information affiliés aux Frères musulmans, ou considérés comme proches de la confrérie, à nouveau frappée d’interdiction. La "chasse aux Frères" vise les journalistes égyptiens, mais aussi leurs confrères turcs, palestiniens ou syriens s’inscrivant en porte-à-faux avec certaines dispositions de la nouvelle Constitution. Les autorités utilisent des prétextes fallacieux pour les maintenir en détention.
Dix-sept journalistes sont toujours détenus (d’après les chiffres du CPJ). Parmi lesquels, Mohamed Adel Fahmy, chef du bureau d’Al-Jazeera au Caire, Peter Greste, reporter australien, et Baher Mohamed, arrêtés le 29 décembre 2013. Leur procès - tout comme celui de 17 autres “journalistes” de la chaîne - s’est ouvert le 20 février dernier. Il est depuis sans cesse reporté. Vingt personnes accusées par les autorités d’être des journalistes d’Al-Jazeera (parmi lesquelles quatre journalistes étrangers) sont poursuivies pour avoir porté “atteinte à l’unité nationale et à la paix sociale” et d’avoir “propagé de fausses informations”. Les ressortissants égyptiens sont également accusés d’appartenir à “une organisation terroriste”. Sur ces vingt journalistes poursuivis, huit ont été arrêtés tandis que les douze autres sont jugés par contumace. Al-Jazeera affirment que seuls quatre de ces journalistes travaillent pour la chaîne. Le procès des journalistes d’Al-Jazeera est en cela emblématique de la situation de la liberté de l’information aujourd’hui en Égypte.
Abdullah Al-Shami, correspondant d’Al-Jazeera, est quant à lui en prison depuis le 14 août dernier. Aucune charge officielle n’a encore été retenue contre lui, et sa détention a été prolongée de 45 jours le 3 mai dernier. Pour dénoncer le caractère arbitraire de son maintien en détention, il a entamé une grève de la faim le 21 janvier. Il a été transféré en secret à Al-Aqrab, « le scorpion », le département de haute sécurité de Tora le 12 mai dernier, alors que son état de santé est jugé inquiétant par son avocat. Mahmoud Abu Zeid, photographe pour les agences Demotix et Corbis, a également arrêté le 14 août 2013 sur la place Rabaa Al-Adawiya. Il est actuellement détenu à la prison de Tora. Saaid Shihata et Ahmed Gamal, reporters pour le site Yaqeen, arrêtés le 30 décembre 2013 alors qu’ils documentaient des affrontements entre étudiants et forces de l’ordre à l’université Al-Azhar, au Caire, ont depuis été inculpés de “participation à une manifestation illégale” et “d’avoir insulté un officier de police”. Karim Shalaby, reporter pour El-Masdr, arrêté lors de la couverture d’une manifestation hostile au gouvernement le 25 janvier, est également accusé d’“avoir participé à une manifestation illégale”. Abdel Rahman Shaheen, correspondent pour Al-Horreya-Wal-Adalah (“Liberté et Justice”), un site affilié aux Frères musulmans, a été arrêté le 3 avril. Il est accusé d’”incitation à la violence”. Samah Ibrahim, reporter pour le même site - arrêtée le 14 janvier bien qu’en reportage sur une marche de manifestants pro-Morsi - a été condamnée, le 17 mars, en première instance, à une peine d’un an de travaux forcés. Lors de son procès en appel, la journaliste a vu sa peine réduite à six mois de prison assortie d’une amende de 50000 livre égyptiennes (5300 euros).
Ces arrestations et détentions arbitraires sont contraires aux dispositions de la nouvelle Constitution, notamment son article 71.
L’extrême polarisation des médias égyptiens (pro ou anti-Morsi) vient renforcer la polarisation de la société égyptienne. Nombreux sont ceux qui soutiennent ouvertement le pouvoir en place, comme on le voit depuis le début de la campagne électorale, ne jouant pas leur rôle de contre-pouvoir.
Publié le
Updated on
20.01.2016