Russie : les pressions sur les médias se multiplient à la veille des manifestations pro-Navalny
La police russe a menacé de poursuites plusieurs journalistes pour les dissuader de couvrir les manifestations de soutien à Alexeï Navalny prévues ce samedi et des médias en ligne risquent d’être bloqués à tout moment. Reporters sans frontières (RSF) dénonce de graves entraves au travail journalistique.
Читать на русском / Lire en russe
Alors que des manifestations pour réclamer la libération de l’opposant Alexeï Navalny sont prévues ce samedi 23 janvier dans 65 villes russes, plusieurs journalistes ont reçu la visite de policiers, qui les ont prévenus du risque de poursuites s’ils couvraient ces rassemblements. Un ordre visant à bloquer les sites en ligne qui publieraient “des informations illégales” sur ces manifestations a par ailleurs déjà été décrété.
“Les journalistes ne doivent pas être les victimes de la fébrilité du pouvoir qui cherche à empêcher la tenue d’une manifestation, dénonce la responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale de RSF, Jeanne Cavelier. Couvrir un rassemblement en faveur d’un opposant ayant survécu à une tentative d'empoisonnement n'est pas un crime. Nous demandons aux autorités de respecter la Constitution russe, de laisser les journalistes faire leur travail et de ne pas céder à la tentation d’une répression à la biélorusse.”
La correspondante de Radio Svoboda (service russe du média américain Radio Free Europe/Radio Liberty) à Pskov, Svetlana Prokopieva, a été l’une des premières à dénoncer publiquement avoir été la cible de ces pressions sur Facebook. Le Syndicat des journalistes et travailleurs des médias russes (JMWU), indépendant, a déposé une plainte pour “abus de droit” de la part des forces de l’ordre.
Des policiers ont aussi dérangé à leur domicile, tôt le matin, les parents âgés du présentateur de la radio Echo de Moscou, d’Aleksandr Plioushchev. La journaliste pigiste Anastasia Lotariova a reçu de son côté un appel de la police de Moscou lui demandant de “promettre” de se tenir à l’écart des manifestations.
Menacé de poursuites pour un tweet
Sergueï Smirnov, le rédacteur en chef de Mediazona, site d’information de référence sur les abus policiers et judiciaires en Russie, a reçu quant à lui un avertissement écrit sur le risque de poursuites administratives et pénales. Il avait publié un tweet sur les conditions météo prévues ce samedi, lors de la journée de protestation. Pour tenter d’intimider encore davantage le journaliste, le Roskomnadzor, le service fédéral de contrôle des communications, lui a envoyé dans l’après-midi du 22 janvier une lettre indiquant qu’il était déjà poursuivi pour “diffusion de fausses informations sur l’épidémie de Covid-19”.
Le procureur général de Russie a en outre ordonné au Roskomnadzor de bloquer les sites contenant des “informations illégales” en lien avec les manifestations, non autorisées. Sous la pression du Roskomnadzor leur intimant d’empêcher “les mineurs de rejoindre les manifestations”, les réseaux sociaux Vkontakte (le Facebook russe) et TikTok ont déjà supprimé des vidéos.
Parallèlement à ces blocages et ces avertissements, des milliers de faux-comptes se sont abonnés aux comptes Instagram de Navalny ainsi que ceux des médias indépendants Novaïa Gazeta, Dojd ou encore MBKh Media. L’équipe de la Fondation anticorruption (FBK), fondée par Alexeï Navalny, craint des tentatives de blocages de ses comptes en amont des rassemblements. Plusieurs membres de cette fondation ont par ailleurs été arrêtés et, selon Mediazona citant les services de presse des tribunaux, les journalistes ne seront pas autorisés à couvrir leurs procès. La fondation FBK a publié le 19 janvier une enquête sur « Le Palais de Poutine », demeure vaste et opulente du président russe près de la Mer Noire, qui a déjà été visionnée près de 60 millions de fois en trois jours.
De nombreuses entraves au travail des journalistes ont déjà été recensées par RSF à l'occasion du retour d'Alexeï Navalny en Russie le 17 janvier dernier. Au moins neuf reporters et blogueurs ont été empêchés de se rendre à l’aéroport ou ont été arrêtés sur place. L’aéroport de Vnoukovo avait aussi interdit toute couverture de la descente d’avion de l’opposant, sous prétexte de crise sanitaire. A la dernière minute, l’avion a été détourné pour atterrir dans un autre aéroport et éviter la retransmission de son arrestation. Des journalistes qui avaient voyagé dans le même avion ont été retenus sur le tarmac à l’atterrissage. Le lendemain, les médias souhaitant couvrir le procès censé être “public” de l'opposant, qui s'est déroulé dans un commissariat au lieu d'un tribunal, n'avaient pas pu entrer.
La Russie occupe la 149e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse, publié par RSF.