Russie : “La liberté de la presse ostensiblement et massivement bafouée par les forces de l’ordre lors des rassemblements pro-Navalny”
Des dizaines de journalistes ont été interpellés, parfois de manière violente, lors des dernières manifestations pro-Navalny, également marquées par de nombreuses violations de la liberté de la presse. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités à sanctionner les auteurs de ces actes illégaux.
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Au moins dix interpellations à Moscou et des dizaines d’entraves au travail des journalistes dans plus d’une trentaine de villes russes : les autorités ont, pour le deuxième week-end consécutif, tenté d’empêcher la couverture des rassemblements de soutien à l’opposant Alexeï Navalny.
Le journaliste Aleksandr Pitchouguine, arrêté à Nijni Novgorod dans l’ouest de la Russie, a réalisé une intervention en direct pour le site local nn.ru depuis un fourgon de police. Il est resté plus de 24 heures en détention et a été condamné à 10 000 roubles d’amende (environ 110 euros) pour participation à une manifestation illégale.
A Moscou, Svetlana Khroustaleva est elle aussi poursuivie sur ce motif et risque une amende de 20 000 roubles (environ 220 euros), malgré sa carte de presse et l’ordre de mission de sa rédaction, l’hebdomadaire Sobesednik. La journaliste a le corps couvert d’ecchymoses après une interpellation brutale. La police a refusé d’appeler une ambulance alors qu’elle avait fait un malaise, la relâchant seulement plus de trois heures plus tard.
Violemment interpellé alors qu’il couvrait, vêtu d’un gilet de presse clairement identifiable, une manifestation à Saint-Pétersbourg pour différents médias, dont le site Znak.com, Gueorgui Markov (aussi connu sous le nom de Timour Khadjibekov) a reçu plusieurs coups de matraque et une décharge de taser. Le reporter, qui souffre encore “partout dans le corps”, portait heureusement un casque. Son appareil photo et son téléphone ont été brisés.
“Malgré les dénégations du Kremlin, la liberté de la presse est ostensiblement et massivement bafouée par les forces de l’ordre lors des rassemblements pro-Navalny, s’alarme la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF, Jeanne Cavelier. Les journalistes doivent pouvoir couvrir librement, sans entrave et en toute sécurité les manifestations à venir et tous les événements d’intérêt public, dont le premier procès d’Alexeï Navalny, qui s’ouvre ce 2 février. Les policiers responsables de violences et ceux qui les ont autorisés à interpeller des journalistes en plein travail doivent être sanctionnées pour avoir commis d’aussi flagrantes violations de la Constitution russe et des traités internationaux signés par Moscou, notamment la Convention européenne des droits de l’homme.”
De nombreuses régions russes ont été le théâtre d’interpellations illégales de journalistes. C’est le cas en Extrême-Orient pour au moins deux correspondants du tri-hebdomadaire indépendant Novaïa Gazeta : Roman Lazoukov, à Khabarovsk, et Valeria Fedorenko à Vladivostok. Dans cette ville portuaire du Pacifique, la journaliste du média en ligne Sotavision Ekaterina Ishchenko a, de son côté, été détenue pendant sept heures au poste de police, malgré sa carte de presse. La correspondante du quotidien économique Kommersant à Stavropol, dans le Caucase du Nord, Aleksandra Larintseva, est elle aussi restée plusieurs heures au poste : la police l’a libérée en invoquant un “malentendu”.
A Iakoutsk, en Sibérie centrale, Denis Adamov, le rédacteur en chef du site d’information local Yakutia.Info, a été brièvement emmené au poste alors qu’il couvrait la manifestation. Lors de son interpellation, il a montré sa carte de presse aux policiers, qui lui ont répondu “ne pas être intéressés”. A Samara, sur la Volga, le rédacteur en chef de l’antenne locale de la radio indépendante Echo de Moscou, Sergueï Kourt-Adjiev et deux présentateurs Tatiana Bratchy et Anton Roubin ont été arrêtés puis rapidement relâchés, après qu’un officier leur a présenté ses excuses “pour les actions illégales des employés de police”.
RSF a également noté plus d’une vingtaine de cas d’intimidation les jours précédant ce deuxième tour de manifestations, après celles du 23 janvier. La police a effectué des visites “d’avertissement” à certains journalistes. Plus grave, Sergueï Smirnov, le rédacteur en chef de Mediazona, site d’information de référence sur les abus policiers et judiciaires, est resté sept heures en détention samedi 30 janvier. Libéré après une forte mobilisation médiatique, il sera jugé le 3 février pour “appel à participer à un rassemblement illégal”. Vladimir Kornev, le rédacteur en chef de la chaîne locale Belgorod n°1, dans la ville du même nom, a également été arrêté samedi et détenu trois jours, pour avoir prétendument organisé un rassemblement illégal.
La Russie occupe la 149e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2020 de RSF.