Plainte abusive, harcèlement, intimidations : la journaliste indienne Rana Ayyub victime d’une nouvelle campagne de haine
La journaliste, bête noire des militants de la mouvance nationaliste hindoue, fait l’objet d’une nouvelle plainte au pénal qui, à la faveur d’un modus operandi qui se répète, se transforme en campagne de haine en ligne et de menaces physiques. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités indiennes à mettre un terme au cauchemar qu’elle traverse.
Depuis trois ans, le cauchemar du cyberharcèlement pour Rana Ayyub commence toujours de la même façon. Dans un premier temps, un ou plusieurs militants de la mouvance nationaliste hindou publie une fausse information ou une plainte abusive à son sujet. En l'occurrence, il s’agit cette fois de l’ouverture par la police de Ghaziabad, une ville de l’Uttar Pradesh, en Inde du nord, le 7 septembre, d’une information judiciaire pour fraude contre la journaliste, qui est basée à Bombay, soit à plus de 1400 kilomètres au sud.
Cette décision fait suite à une plainte déposée par un certain Vikas Sankrityayan, cofondateur de la Cellule hindoue des nouvelles technologies, ou “Hindu IT Cell”, un groupuscule associé à l’extrême-droite nationaliste hindoue qui soutient, notamment, le Bharatiya Janata Party (BJP) du Premier ministre Narendra Modi.
Selon cette plainte, Rana Ayyub aurait utilisé la plate-forme indienne de financement participatif Ketto pour percevoir illégalement des fonds à son profit, au prétexte de trois campagnes de secours aux populations du pays touchées par le Covid-19 et ses effets en 2020 et 2021. Interrogée par RSF, la journaliste affirme pour sa part être parfaitement en règle et, à ce titre, elle s’est mise en lien avec le Bureau central des impôts directs du fisc indien pour faire montre de son bon droit.
Modus operandi similaire
Mais peu importe que la journaliste n’ait absolument rien à se reprocher. Comme précédement, une simple information, même fausse, suffit à mettre en branle des milliers de militants proches de la droite nationaliste hindoue, qui orchestrent de vastes campagnes de haine et d’intimidations. Dans un troisième temps, avec la publication de ses données personnelles, Rana Ayyub est aussi systématiquement ciblée par des menaces et des intimidations physiques, faisant peser de lourds risques sur son intégrité physique.
Mais cette fois, les habituels messages de menaces en ligne et par téléphone se sont accompagnés, selon la journaliste, de traques, de harcèlement physique et de menaces verbales.
“Nous appelons les autorités de New Delhi à intervenir urgemment pour protéger Rana Ayyub et faire en sorte que ceux qui orchestrent les campagnes de haine qui la visent soient poursuivis, déclare le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. La passivité des autorités indiennes face aux attaques répétées dont la journaliste est la cible est telle qu’elles seront tenues responsables de toute violence physique qui la viserait. Le cauchemar qu’elle traverse doit cesser.”
Appels aux meurtre répétés
En juin dernier, Rana Ayyub et les journalistes Saba Naqvi et Mohammed Zubair, furent l’objet d’une plainte déposée par la même police de Ghaziabad pour “conspiration criminelle”, après qu’ils eurent simplement commenté une vidéo sur Twitter. Cette plainte avait été suivie de nombreux appels aux meurtres.
En novembre 2019, RSF avait fermement condamné le comportement de la police d’Amethi, une ville également située dans l’Uttar Pradesh, qui avait menacé Rana Ayyub de poursuite judiciaire à la suite d’un message sibyllin sur les réseaux sociaux. Une menace qui s’était, là aussi, accompagnée d’une effroyable campagne de haine en ligne et d’appels au meurtre.
En avril 2018, toujours selon RSF, c’est la publication d’un faux tweet lui attribuant des propos invraisemblables selon lesquels elle soutiendrait des violeurs d’enfants, qui avait déclenché un effroyable déchaînement de haine sur les réseaux sociaux - avec force insultes sexistes, vidéos pornographiques trafiquées et - déjà - appels au meurtre.
Justice introuvable
Face à la violence de ce type de campagne, RSF a saisi en urgence, dès novembre 2018, la Rapporteure spéciale des Nations unies contre les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. A la suite de cette action, cinq représentants des Nations unies ont adressé un courrier au gouvernement indien pour lui demander d’agir.
Des milliers de journalistes indiens ont commémoré, il y a quelques jours, le quatrième anniversaire de l’assassinat de Gauri Lankesh, abattue devant son domicile de Bangalore le 5 septembre 2017, vraisemblablement par des militants de l’extrême droite nationalistes hindoue.
Ce meurtre sauvage avait été précédé de campagnes de menaces en ligne contre la journaliste. Malgré l’arrestation de plusieurs suspects, la tenue d’un procès pour juger cet assassinat a été régulièrement repoussée.
L’Inde se situe à la 142e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2021 par RSF.