Kazakhstan : la nouvelle loi sur les médias nuit gravement au journalisme
Malgré la mobilisation de la société civile, le président kazakh Noursoultan Nazarbaïev a promulgué, le 28 décembre 2017, une série d’amendements portant atteinte au journalisme d’investigation et à l’accès à l’information publique. Reporters sans frontières (RSF), qui avait appelé le Sénat à ne pas adopter ce texte, dénonce un coup supplémentaire porté à la liberté de la presse.
La loi kazakhe sur la presse contenant bon nombre de dispositions répressives, l’annonce de sa réforme suscitait l’espoir. Une fois n’est pas coutume, les professionnels du secteur avaient même été consultés. Las, les amendements promulgués le 28 décembre par le président Noursoultan Nazarbaïev aggravent encore la situation. Après leur adoption par la chambre basse, fin novembre, RSF et les organisations kazakhes de défense de la liberté de la presse avaient en vain demandé au Sénat de les rejeter.
“Bien loin des intentions proclamées, cette loi entrave encore un peu plus l’activité des journalistes et les rend plus vulnérables aux pressions, estime Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale de RSF. Nous regrettons profondément que malgré la consultation des professionnels des médias, leurs arguments n’aient pas été entendus. Les autorités doivent enfin comprendre que le journalisme libre et indépendant profite à l’ensemble de la société et au développement du pays.”
L’un des amendements les plus controversés impose aux journalistes de demander la permission aux personnes mentionnées dans leurs articles avant de publier des informations relevant du “secret personnel et familial”. Si la loi kazakhe protège déjà le droit à la vie privée, le secret médical et autres, rien ne définit cette nouvelle notion, qui ouvre la voie aux interprétations les plus larges. Les journalistes d’investigation craignent que cette disposition n’entrave leur travail, notamment lorsqu’ils enquêtent sur des affaires de corruption. Les mêmes craintes entourent une autre notion tout aussi peu définie, les “informations portant atteinte à des intérêts légitimes”.
Un autre amendement vient quant à lui compliquer le droit d’accès à l’information publique : le délai accordé aux fonctionnaires pour répondre aux questions des journalistes est plus que doublé. Le temps pour les reporters de recevoir une réponse, l’intérêt de cette information au regard de l’actualité a de fortes chances d’avoir disparu. Les fonctionnaires se réservent qui plus est le droit de classifier certaines réponses.
La nouvelle loi impose enfin aux internautes de s’identifier pour pouvoir déposer des commentaires sur les sites d’information. Leurs données seront stockées pendant trois mois. Ce qui laisse présager une nouvelle inflation du nombre d’internautes emprisonnés pour leurs propos en ligne, déjà en forte croissance ces dernières années.
Quelques amendements positifs, fruits de la consultation menée en amont avec des représentants de médias et d’ONG, ont néanmoins été adoptés. Le droit à l’image est ainsi limité lors des événements publics. Un cadre est donné pour favoriser le règlement hors des tribunaux de certains différends liés à la presse. Et des infractions administratives mineures ne donneront plus lieu à des sanctions aussi lourdes que la saisie d’un tirage ou la fermeture d’un média. On peut néanmoins souligner que les principaux médias indépendants ont déjà tous été contraints à la fermeture sur la base de telles accusations.
Depuis 2012 et la fermeture simultanée des principaux médias d’opposition nationaux, la presse indépendante a pratiquement disparu au Kazakhstan. Cette situation critique est aggravée par une justice au service du régime, qui multiplie les arrestations de journalistes et de blogueurs critiques. Le pays occupe la 157e place sur 180 au Classement mondial 2017 de la liberté de la presse.