Journée nationale des lanceurs d’alerte: les Etats-Unis doivent cesser de les traiter comme des espions
A l’occasion de la journée nationale des lanceurs d’alerte (observée le 30 juin), Reporters sans frontières (RSF) exhorte les Etats-Unis à cesser d’intenter des actions en justice contre les lanceurs d’alerte, poursuivis dans le cadre de la loi sur l’Espionnage. Les lanceurs d’alerte divulguent des informations d’intérêt public à la presse et les lourdes poursuites judiciaires dont ils font l’objet vont à l’encontre du Premier Amendement.
Edward Snowden, le lanceur d’alerte le plus populaire des Etats-Unis, vit toujours en exil depuis qu’il a révélé le scandale des écoutes de la NSA (l’Agence nationale de sécurité américaine), levant ainsi le voile sur la surveillance d’ampleur des citoyens américains. Si il rentrait chez lui, il s’exposerait à une peine d’au moins 30 ans de prison au titre de la loi « Espionage Act ». Autre cas préoccupant : celui de Reality Winner. Moins de six mois après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, cette ancienne contractuelle de la NSA a été arrêtée et mise en examen en juin, dans le cadre là aussi de l'Espionage Act, accusé d’avoir collecté, divulgué, ou égaré des informations classées “secret défense”. Sa mise en examen est survenue peu après la publication par le site d’information en ligne The Intercept d’un article présentant un document de la NSA qui démontre une ingérence russe dans l’élection présidentielle de 2016.
Le cas de Reality Winner pourrait être le premier d’une longue série de poursuites judiciaires visant des fuites dans la presse sous la présidence de Donald Trump. Il convient cependant de rappeler que l’administration Obama a poursuivi en justice plus de lanceurs d’alerte que toutes les précédentes administrations réunies. Aujourd’hui encore, beaucoup d’entre eux sont emprisonnés ou vivent en exil en raison de leurs révélations.
Chelsea Manning a été condamnée à 35 ans de prison en 2013 pour avoir transmis des informations confidentielles dévoilant des violations des droits de l’Homme commises par les Etats-Unis au cours de leur “guerre contre la terreur” menée en Irak. Sa peine a été commuée par Barack Obama avant la fin de son mandat. Chelsea Manning avait tenté à deux reprises de mettre fin à ses jours durant ses sept années de détention.
Jeffrey Sterling, quant à lui, a été reconnu coupable d’avoir divulgué des informations classifiées au New York Times au sujet d’une opération de la CIA concernant le nucléaire iranien. Il purge actuellement une peine de trois ans et demi de prison. Les preuves avancées pour justifier sa condamnation sont néanmoins faibles : il s’agit de métadonnées issues de courriers électroniques et de conversations téléphoniques échangés avec le journaliste James Risen, et rien ne prouve que Jeffrey Sterling ait été sa source. Par ailleurs, James Risen a failli être emprisonné pour avoir refusé de révéler sa source.
Les exemples de Chelsea Manning et Jeffrey Sterling mettent en lumière les sanctions disproportionnées qu’encourent les lanceurs d’alerte comparé aux services qu’ils rendent à la population.
“Les lanceurs d’alerte, qui divulguent des informations d’intérêt public au peuple américain, sont traités comme des ennemis d’Etat. Ils devraient au contraire être reconnus comme des acteurs fondamentaux d’une démocratie saine, qui respecte le droit de la presse et encourage la transparence du gouvernement, déclare Margaux Ewen, directrice du plaidoyer et de la communication pour le bureau nord-américain de RSF. La transmission de ce type d’informations est au coeur du journalisme d’investigation. En utilisant la loi sur l’“Espionage Act” contre les lanceurs d’alerte, le gouvernement américain envoie un signal clair à la population: les droits relatifs au Premier amendement, qui garantissent la divulgation et l’accès aux informations, ne valent pas la peine d’être protégés lorsqu’il en va de la “sécurité nationale””.
L’Espionage Act a été adopté en 1917 après l’entrée officielle du pays dans la Première Guerre mondiale,afin de poursuivre en justice tout individu qui partagerait des secrets d’Etat avec les ennemis des Etats-Unis. La première personne accusée, dans le cadre de cette loi, d’avoir divulgué des informations fut Daniel Ellsberg. En 1971, cet analyste militaire a fourni au New York Times un rapport classifié - les célèbres Pentagon Papers (“Papiers du Pentagone”) - qui mettait en cause le comportement de l’armée américaine au Vietnam. Si les charges pesant contre lui furent finalement abandonnées (après qu’il fut révélé que le gouvernement l’avait illégalement mis sur écoute), d’autres lanceurs d’alerte n’ont pas eu cette chance.
Selon les termes de l’Espionage Act, un lanceur d’alerte dispose de peu de moyens de se protéger lors de poursuites judiciaires. Les accusés ne sont pas autorisés à invoquer l’intérêt public dans leur défense et les procureurs doivent seulement démontrer que la fuite d’informations aurait pu avoir des conséquences néfastes sur la sécurité nationale, et non qu’elle en a eu.
Le rapporteur spécial des Nations unies pour la liberté d’expression a appelé les Etats membres à s’investir davantage pour la protection des lanceurs d’alerte, en vertu du droit d’accès à l’information inscrit dans l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les Etats-Unis manquent clairement à leur obligation dans ce domaine.
Il est temps que le pays du Premier amendement salue le rôle que ces hommes et ces femmes jouent dans le maintien de notre démocratie au lieu de les considérer comme des traîtres et de les poursuivre, voire de les enfermer les uns après les autres.
Les Etats-Unis sont classés 43e sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse pour 2016 établi par RSF.