Iran : RSF demande au Rapporteur spécial de l’ONU de se rendre dans les prisons où sont incarcérés les journalistes
La révélation de cas de Covid-19 dissimulés rend encore plus inquiétante la situation en Iran, et en particulier dans les centres pénitentiaires où sont entassés les prisonniers d’opinion, dont des journalistes. Reporters sans frontières (RSF) appelle le Rapporteur spécial des Nations unies chargés des droits humains en Iran à se rendre au plus vite dans les prisons pour faire un état des lieux.
Alors que Téhéran faisait état, fin juillet, de quelque 14 500 morts dues à la pandémie de coronavirus, une enquête du service en persan de la BBC révélait, le 3 août, que le nombre de décès dus au Covid-19 était en réalité de 42 000, soit trois fois plus que les déclarations officielles.
Alarmante pour la population en général - plus de 18 provinces iraniennes sont toujours classées “rouges” -, la situation sanitaire en Iran l’est d’autant plus pour les plus fragiles, et notamment pour celles et ceux qui s’entassent dans les prisons du pays. Surpeuplées, celles-ci constituent des foyers de contamination certains et, jusqu’à présent, aucun chiffre n’a été annoncé concernant le nombre de malades et de morts dans les établissements pénitentiaires.
Or beaucoup de prisonniers d’opinion, parmi lesquels 19 journalistes et journalistes-citoyens, sont toujours détenus, ainsi que leurs proches, tandis que d’autres continuent d’être arrêtés. Le 7 août dernier, l'ancienne journaliste et activiste de la société civile, Nada Sabouri a été arrêtée par les agents du parquet de Téhéran et transférée à la prison d’Evin pour purger une peine de trois an et demie. Son mari Sohrab Salehin également journaliste devrait se présenter au parquet basé à la prison d’Evin pour le purger la même peine.
Une médecin exerçant dans une prison de la province de Téhéran et qui témoigne auprès de RSF sous anonymat confirme l’incapacité du système pénitentiaire à faire face à la situation : «Pour une maladie contagieuse comme le Covid-19, il nous faut non seulement des moyens, mais une politique sanitaire adaptée. La seule chose que les administrations pénitentiaires font, c’est isoler les malades ou les transférer dans d’autres dortoirs.” Le médecin appelle à leur libération pour qu’ils puissent bénéficier des soins nécessaires ou “au moins mourir dignement dans leur famille ».
C’est dans ce contexte que plusieurs prisonniers d’opinion privés de soins ont entamé une grève de la faim dans différentes prisons du pays. Nasrin Sotoudeh, avocate de plusieurs journalistes et lauréate en 2012 du prix Sakharov "pour la liberté de l'esprit », refuse elle aussi de s’alimenter depuis le 10 août pour protester contre sa situation et celle des prisonniers politiques. Son état de santé s’étant fortement dégradé, elle a été transféré à la clinique de la prison, selon son mari. Nasrin Sotoudeh a été condamnée par le tribunal de la révolution de Téhéran à 33 ans de prison, dont une peine de sûreté de 12 ans, et à 148 coups de fouet pour « incitation à la débauche ». Le 17 août, sa fille, Mehraveh Khandan, a été arrêtée pendant quelques heures avant d’être libérée sous caution, « sans doute pour mettre la pression sur moi et pour essayer de me faire plier », a commenté l’avocate.
« La république islamique d’Iran est l’un des pire pays au monde en matière de répression de la liberté de la presse à la faveur de la pandémie, dénonce Reza Moini, responsable du bureau Iran-Afghanistan de RSF. Au vu des chiffres récemment révélés et du déni continu du gouvernement de la gravité de la crise sanitaire, nous ne pouvons qu’être extrêmement inquiets pour la situation des détenus en général, et des journalistes en particulier. Nous demandons donc au Rapporteur spécial des Nations unies chargé des droits humains en Iran, Javaid Rehman, de tout mettre en œuvre pour visiter les établissements pénitentiaires et rendre compte de la situation.”
Alors que dès le mois de mars, RSF avait condamné la dissimulation de la propagation du coronavirus et la répression de l’information indépendante, médias et journaliste continuent de faire les frais des mensonges du gouvernement. Le quotidien Jahan Sanat (Le Monde de l’industrie) a été suspendu le 10 août par la Commission d’autorisation et de surveillance de la presse du ministère de la Culture et de l’Orientation islamique. Selon son directeur, le journal a été sanctionné pour avoir publié une interview avec un spécialiste de la santé publique sous le titre “On ne peut pas faire confiance aux chiffres du gouvernement sur les malades du coronavirus”.
L’Iran se situe à la 173e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2020 de RSF.