France : RSF condamne la pression exercée par le lobby agro-industriel breton sur Inès Léraud
A l’approche du procès de la journaliste d’investigation Inès Léraud, accusée de diffamation par le groupe agro-industriel breton Chéritel, Reporters sans frontières (RSF) dénonce le climat de pression et de dénigrement systématiques qui entoure certaines enquêtes journalistiques sur ce secteur d’activités et appelle l’entreprise à retirer sa plainte.
Le procès pour diffamation de la journaliste d’investigation indépendante Inès Léraud et du média en ligne Basta !, qui a publié ses enquêtes sur l’agro-industrie bretonne, s’ouvrira le 28 janvier prochain devant le tribunal de Paris. Le grossiste de fruits et légumes Jean Chéritel, et son entreprise Chéritel Trégor Légumes, poursuivent la journaliste et le site en ligne pour un article publié le 26 mars 2019 qui dénonçait les méthodes managériales du groupe et ses pratiques frauduleuses, sur la base de témoignages et de condamnations passées pour travail illégal et fraude à l'étiquetage.
“Les pressions et les procédures dont la journaliste Inès Léraud fait l’objet sont un message très clair pour tous les journalistes bretons : n’enquêtez pas sur les pratiques de l’agro business de votre région, le prix est bien trop cher payé ! dénonce le responsable du bureau UE/Balkans de RSF, Pavol Szalai. Nous appelons Jean Chéritel à retirer sa plainte et les acteurs du lobby agro-industriel breton à cesser de dénigrer cette professionnelle reconnue et d’entraver le travail des journalistes locaux qui ont le courage et le mérite d’enquêter sur des sujets de la plus haute importance pour les habitants de la région.”
“La plainte de Jean Chéritel est une manière d’identifier et d’intimider mes sources journalistiques, estime Inès Léraud. Il s’agit de faire silence autour des pratiques de l’entreprise et de s’assurer qu’elle ne fasse l’objet d’aucune enquête, même si elle les mérite depuis bien longtemps.”
C’est la deuxième fois que la journaliste fait l’objet d’une plainte en diffamation pour son travail d’enquête sur l’agro-business en Bretagne. En septembre 2019, le directeur du cabinet de conseil en environnement pour les industriels GES, Christian Buson, également président de l’Institut scientifique et technique de l’environnement et de la santé, l’avait poursuivie pour un passage de son enquête Algues vertes, l’histoire interdite (La Revue dessinée, 2019) qui le citait. M. Buson a finalement retiré sa plainte, quatre jours avant le début du procès, qui devait se tenir le 7 janvier 2020, alors que la journaliste avait soigneusement préparé sa défense, au détriment du temps consacré à ses enquêtes journalistiques.
L’enquête en bande dessinée Algues vertes, l’histoire interdite, honorée par le prix du journalisme aux Assises du journalisme en 2020, a suscité des pressions politiques au niveau régional. En mars 2020, sous la pression d’élus locaux, l’invitation d’Inès Léraud a été annulée au salon du livre de Quintin et la traduction de la BD en breton envisagée dans un premier temps par une maison d’édition a notamment été suspendue sine die. Plus récemment, le dirigeant de l’agence de communication NewSens, Hervé Le Prince, qui compte parmis ses clients d’influents acteurs de l’agroalimentaire breton, a dénigré d’emblée la journaliste pour le documentaire intitulé Bretagne, une terre sacrifiée, diffusé le 17 novembre 2020 sur France 5, qu’elle n’a pourtant pas réalisé.
Le climat de pression et de dénigrement qui pèse sur les journalistes et les médias qui enquêtent sur l'impact environnemental de l'industrie agro-alimentaire dans la région, s’est détérioré de façon inquiétante après la diffusion de ce reportage. Les 2 et 9 décembre, les locaux de Radio Kreiz Breizh ont été forcés. La radio associative bretonne avait préalablement reçu des messages d’insultes et de menaces, juste après la diffusion de Bretagne, une terre sacrifiée, dans lequel une de ses journalistes, Morgan Large, évoquait son enquête sur des subventions pour l'agriculture intensive. Le domicile de la journaliste a également été directement visé par un acte grave de malveillance.
La France se situe à la 34e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2020.