6 mois de guerre en Ukraine, 8 journalistes tués
Evgueni, Brent, Maks, Pierre, Oleksandra, Oksana, Mantas et Frédéric. 8 journalistes, 2 femmes et 6 hommes. Tous ont perdu la vie au cours des six premiers mois d’invasion des forces russes en Ukraine. Reporters sans frontières (RSF) revient sur les circonstances de leur mort et rappelle que tuer un journaliste couvrant un conflit constitue un crime de guerre.
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Depuis l’invasion de l’armée russe en Ukraine le 24 février 2022, les journalistes sont en première ligne. Reporters sans frontières (RSF) a répertorié 46 attaques qualifiables de crimes de guerre au cours desquelles plus d’une centaine de journalistes ont été visés dans l'exercice de leur métier. Parmi eux, 8 journalistes ont été tués, dont certains de manière délibérée, par les forces russes. RSF a déposé six plaintes auprès de la Cour pénale internationale (CPI) et de la procureure générale d'Ukraine.
- Evgueni Sakoun, Kyiv Live TV, 49 ans - 01/03/2022
Une semaine après le début du conflit, Evgueni Sakoun, cameraman pour la chaîne locale ukrainienne Kyiv Live TV, meurt le 1er mars 2022, lors du bombardement de la tour de télévision de la capitale ukrainienne par l’armée russe. Il est le premier journaliste à trouver la mort dans l’exercice de ses fonctions durant le conflit. Dans les décombres de la tour, son corps est identifié par sa carte de presse. Quelques jours plus tard, RSF saisit la Cour pénale internationale après les bombardements de 4 antennes de télévision n’ayant aucun usage militaire. Ces attaques ont privé de diffusion 32 chaînes et plusieurs dizaines de radios dans le pays.
- Brent Renaud, documentariste, 50 ans - 13/03/2022
Dimanche 13 mars, le documentariste américain Brent Renaud est mortellement touché d’une balle dans la nuque alors qu’il est au volant de sa voiture dans la ville d’Irpin, au nord-ouest de Kyiv. Le reporter Juan Arredondo qui l’accompagnait est blessé et hospitalisé. Réalisateur de nombreux documentaires, Brent Renaud avait couvert plusieurs terrains de guerre (Afghanistan, Irak…) avant de se rendre en Ukraine par ses propres moyens. Premier journaliste étranger à perdre la vie dans le conflit, il réalisait un reportage sur les civils fuyant la région en proie à l’offensive de l’armée russe pour tenter de prendre la capitale ukrainienne.
- Maks Levin, photoreporter, 41 ans - 13/03/2022
Photoreporter aguerri, Maks Levin couvre le conflit dès le début de l'invasion russe en Ukraine. Journaliste indépendant et collaborateur régulier du site d’information très réputé en Ukraine LB.ua et de l’agence de presse Reuters, il suit aussi bien ceux qui font la guerre que ceux qui la subissent. Ses photos font la couverture du Spiegel en Allemagne ou encore du Time Magazine et du Wall Street Journal aux États-Unis.
Maks Levin disparaît le 13 mars 2022, alors qu’il couvre l’invasion de la Russie et les combats avec les forces ukrainiennes dans la région de Kyiv. Son corps et celui d’Oleksiy Tchernychov, son accompagnateur, ami, et soldat, sont retrouvés le 1er avril, dans une forêt du nord de Kyiv, dans les environs de Houta-Mejyhirska. Au terme d’une enquête exclusive menée quelques semaines plus tard par Reporters sans frontières (RSF) en Ukraine, l’organisation retrouve la scène de crime et l’une des balles ayant mortellement touché le journaliste. Les informations et preuves collectées permettent d’établir que le journaliste a été froidement exécuté par les forces russes.
- Pierre Zakrzewski et Oleksandra Kouvchinova, Fox News, 55 ans et 24 ans - 15/03/2022
Le 14 mars 2022, une équipe de Fox News est visée par des tirs dans la ville de Horenka, non loin de Kyiv. Le journaliste reporter d’images franco-irlandais Pierre Zakrzewski et la journaliste fixeuse ukrainienne Oleksandra Kouvchinova, ont tous deux succombé à leurs blessures et leur décès a été confirmé le mardi 15 mars. Journaliste chevronné, Pierre Zakrzewski était un habitué des conflits. Durant ses trente années passées sur le terrain, cet ancien photographe de guerre basé à Londres s'était rendu en Irak, en Afghanistan et en Syrie. Oleksandra Kouvchinova, jeune journaliste reconnue pour son courage et son professionnalisme, travaillait comme fixeuse pour Fox News depuis presque un mois. Elle aidait les équipes de la chaîne à circuler dans le pays et à trouver des sources pour leurs reportages.
- Oksana Baoulina, The Insider, 43 ans - 23/03/2022
Oksana Baoulina était l’une des rares journalistes russes installées en Ukraine à être restée après l’invasion du 24 février. Ce jour-là, elle tweete : “La guerre n’est pas une erreur, la guerre est un crime.” Ancienne productrice pour la fondation russe anti-corruption (FBK) fondée par Alexeï Navalny (principal opposant à Vladimir Poutine) et classée comme organisation extrémiste par Moscou, elle était depuis plusieurs années la correspondante à Kyiv de The Insider, un média d’investigation d’opposition russe basé en Lettonie. Le 23 mars 2022 elle est tuée par un tir de “drone kamikaze” selon sa rédaction. Elle réalisait un reportage sur les dommages causés par une précédente frappe russe à proximité d’un centre commercial dans le Podilsky raïon. Les deux policiers qui l'accompagnaient ont été gravement blessés dans l’attaque. Oksana Baoulina avait auparavant recueilli des témoignages, pas encore publiés, de militaires russes capturés par l’armée ukrainienne.
- Mantas Kvedaravicius, documentariste, 44 ans - 02/04/2022
Au déclenchement de l’invasion russe en Ukraine, Mantas Kvedaravicius retourne à Marioupol, huit ans après son premier documentaire Mariupolis (2016). Il n’en reviendra pas. Le 2 avril 2022, le réalisateur lituanien est retrouvé gisant sur le ventre dans les rues de la ville portuaire. Son corps est marqué d’une balle dans la tête et d’une autre dans la poitrine. Si les circonstances de sa mort demeurent encore troubles, il avait été fait prisonnier par les russes quelques jours avant la découverte de son cadavre. Dans un message diffusé sur Twitter, l’agence de presse du ministère de la Défense ukrainien annonçait sobrement, “les occupants russes ont tué Mantas Kvedaravicčius (...) alors qu'il tentait de quitter Marioupol”. Son corps sera rapatrié quelques jours plus tard en Lituanie par sa compagne.
- Frédéric Leclerc-Imhoff, BFMTV, 32 ans - 30/05/2022
Le 30 mai 2022, Frédéric Leclerc-Imhoff se trouve dans un camion humanitaire près de Lyssytchansk dans l’est de l’Ukraine lorsqu’il est mortellement touché au cou par un éclat d’obus ayant transpercé le blindage du véhicule. Aux côtés de son confrère Maxime Brandstaetter et de la fixeuse ukrainienne Oksana Leuta, légèrement blessés dans l’attaque, le journaliste reporter d’images (JRI) de la chaîne d’information française BFMTV, devait couvrir une opération d'évacuation de civils dans cette région lorsque le convoi a été bombardé. Lors d’un vibrant hommage ayant rassemblé plusieurs centaines de personnes à Paris le 10 juin, le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, avait salué “le sens de l’engagement professionnel et de la vocation” du journaliste français “dans un moment de l’histoire où des régimes entendent instaurer un ordre mondial de la propagande.”