100 jours sans nouvelles de Jean : RSF décharge 11 000 enveloppes devant l’ambassade du Burundi
Déjà 100 jours que le journaliste burundais Jean Bigirimana a disparu. Reporters sans frontières (RSF) transmet symboliquement les 11 000 signatures de la pétition à l'ambassade du Burundi à Paris, et exhorte les autorités à ouvrir une enquête sur cette disparition.
Pétition Jean Bigirimana : RSF décharge 10 000 enveloppes devant l’ambassade du Burundi
« Reporters sans frontières demande au Burundi d'ouvrir une enquête officielle pour déterminer ce qui est arrivé à Jean Bigirimana, déclare Cléa Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de RSF. Est-il détenu par les services de renseignement ? A-t-il été tué ? Vivre dans cette ignorance est devenu un enfer pour ses collègues et sa famille. Le Burundi s'est retiré à la mi-octobre de la CPI, et a déclaré les enquêteurs de l'ONU persona non grata dans le pays. Le gouvernement conteste la légitimité de la communauté internationale sur les questions de justice et de droits de l'Homme. Dans ce cas, pourquoi n'enquête-t-il pas lui-même? Il est incontestable que Jean a disparu. Il est incontestable qu'au moins deux corps de personnes ayant subies une mort violente, ont été retrouvés proches du dernier endroit où Jean a été vu. Pourquoi ce silence assourdissant ? Si le gouvernement du Burundi n'a rien à se reprocher, pourquoi ne met-il pas tout en œuvre pour chercher les coupables de cette disparition? »
Le 22 juillet 2016, Jean Bigirimana a répondu à l'appel d'une source qui lui a donné rendez-vous à Muramvya, à quelques dizaines de kilomètres de la capitale Bujumbura. Il s'est rendu sur place. Selon des témoins interrogés à l'époque, il a été vu accompagné d'agents du Service national de renseignements. C'est la dernière fois qu'il a été aperçu. Devant le silence des autorités qui ont dans un premier temps affirmé le détenir avant de faire machine arrière, ses collègues du journal d'Iwacu se sont lancés dans une enquête spontanée sur le terrain. Après plusieurs jours de recherches infructueuses, ils ont été rejoints par des officiers de la police et de la protection civile, afin de tenter de retrouver les traces du journaliste disparu.
Début août, deux cadavres ont été retrouvés dans une rivière en contrebas du village de Muramvya. Leur état a rendu tout identification définitive difficile. L'un d'entre eux était décapité. La femme de Jean avait estimé dans la mesure du possible qu'aucun des deux corps n'était son mari. Néanmoins aucune autopsie ou analyse génétique n'a été effectuée.
Signe de cruauté ou d’espoir, la femme du journaliste a reçu pendant près de trois semaines des appels de la part de personnes s’identifiant comme des magistrats ou des intermédiaires du SNR lui disant de ne pas s’inquiéter et de prendre patience.
100 jours plus tard, malheureusment la question demeure donc entière: où se trouve Jean aujourd'hui ?
Depuis le printemps 2015, le Burundi traverse une crise politique qui ne fait que devenir plus tendue. En septembre les Nations unies ont publié un rapport disant craindre un risque de génocide.
Après la suspension de la très populaire Radio publique africaine en avril 2015, l'ensemble des radios privées ont été fermées en mai 2015, officiellement pour enquête. Une enquête qui a ce jour n'a pas abouti, si elle a même commencé.
Depuis cette date, seules deux radios ont été autorisées à rouvrir en mars 2016: Radio Rema, porte-voix du gouvernement, et Radio Isanganiro, dont la directrice en exil, Anne Niyuhire a été limogée à distance pour permettre la réouverture d'une version édulcorée de la radio. Malgré les nouvelles précautions de l'équipe rédactionnelle, les rédacteurs et directeurs de Radio Isanganiro ont été convoqués à plusieurs reprises à la Présidence pour s'expliquer sur certains reportages. En octobre 2016, la rédactrice en chef de la radio a été remerciée.
Les journalistes qui continuent à travailler au Burundi font régulièrement l'objet d'intimidations et de menaces. Et la pression ne se relâche pas. Trois jours plus tard, Nestor Ndayitwayeko était passé à tabac par un officier de police dans un bar, simplement parce qu'il était journaliste. Le 1er août, le journaliste de Bonesha FM, Boaz Ntaconayigize, en exil à Kampala a été poignardé par des personnes qu'il a identifié comme étant des agents des services burundais. Le 18 août, le journaliste de Buja FM, Gisa Steve Ira-Koze, était arrêté sans motif dans un bar de Gatumba à l’ouest de la capitale et retenu plusieurs jours.
Et il y a quelques semaines, le 7 octobre, une correspondante de Voice of America Fidélité Ishatse, a été arrêtée par la police à Rutana (sud-est du Burundi) avant d'être relâchée quelque temps après. On lui reprochait soudain de ne pas avoir présenté son accréditation avant de travailler alors qu’elle est coutumière d’effectuer des reportages dans la région…
Tous ces exemples montrent à quel point la liberté d'informer et d'être informé est en péril dans ce petit pays d'Afrique centrale qui a perdu 11 places entre 2015 et 2016 au Classement de la liberté de la presse établi par RSF. Un constat d'autant plus amer que le Burundi était souvent cité en exemple pour son pluralisme et son équilibre médiatique, avant que l'acharnement d'un homme à s'arrimer au pouvoir ne vienne tout détruire.
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