États-Unis : l’exemple de Truth Social démontre la nécessité d’imposer aux réseaux sociaux une neutralité politique et idéologique
L’ancien président des États-Unis Donald Trump a lancé “Truth Social”, une plateforme qui affiche sa volonté de fédérer autour des valeurs chères à son fondateur. S’il est parfaitement légitime que les médias soient orientés, les plateformes numériques et les réseaux sociaux, qui structurent l’espace civique, doivent être astreints à une neutralité politique, idéologique et religieuse.
C’est le dernier né des réseaux sociaux, et il est mis au service d’une parole politique. Alors que “Truth Social”, lancé par Donald Trump, devrait être complètement opérationnel aux États-Unis d’ici la fin du mois, RSF s’inquiète du danger de plateformes numériques et de réseaux sociaux orientés. L’organisation appelle à l’instauration d’une neutralité politique, idéologique et religieuse pour ces réseaux, telle que définie dans l’article 26 du Partenariat pour l’information et la démocratie, initié par Reporters sans frontières et signé désormais par 45 Etats. Si chacun est libre d’exprimer ce qu’il veut dans l’espace public, les architectures de choix ne sauraient, elles, être orientées. Il s’agit d’un pré-requis indispensable pour un espace informationnel démocratique.
L’invasion du Capitole, le 6 janvier 2021, par des partisans de Donald Trump radicalisés sur le réseau social Parler - fondé par un soutien de l’ancien président - constitue un précédent inquiétant. Il montre qu’abreuver des citoyens d’informations orientées en fonction d’une idéologie représente un grave danger pour la démocratie. C’est la voie qu’a choisi de suivre Donald Trump avec “Truth Social”. Dans un communiqué publié en octobre 2021, Trump Media & Technology Group, maison-mère du réseau social, se fixe pour mission de s’opposer au "consortium des médias libéraux” (comprendre ici “démocrates”) et aux entreprises de la "Big Tech” qui souhaitent “réduire au silence les voix d’opposition en Amérique”. Le site web de l’entreprise affiche même ce slogan : “canceller la cancel culture”.
“C’est une tendance qu’on observe depuis peu, explique le responsable du bureau Technologies de RSF, Vincent Berthier. Ce genre de plateformes offre aux internautes de rejoindre une communauté homogène de gens qui pensent comme eux. Dans la communication de Truth social, Donald Trump se pose comme le produit d'appel de cette communauté, ce qui donne des indications très claires sur la tonalité des informations qui y circuleront. Dans les faits, il y a de très grands risques que ce réseau soit une bulle de filtres à part entière.”
En Europe, une tendance qui ne serait pas encadrée par le DSA
Pour l’instant le déploiement de l’application n’est prévu qu’aux États-Unis mais d’autres plateformes comme GETTR, fondée également par un proche de Donald Trump, affichent des lignes idéologiques similaires et sont d’ores et déjà utilisées en Europe. Ainsi, la version française du réseau affirme sur sa page d'accueil qu’il défend les “principes de la liberté d'expression, de la pensée indépendante, du rejet de la censure politique et de la ‘cancel culture’.”
Face à ces nouvelles plateformes politiquement orientées, Reporters sans frontières réitère son appel, formulé le 15 février dernier pour une mise en œuvre plus ambitieuse du projet européen de législation des services numériques. Le Digital Services Act (DSA) doit imposer aux plateformes le respect de la neutralité politique, idéologique et religieuse.
En l'état actuel du texte, certaines obligations ne concernent que les plateformes les plus importantes. L'évaluation des conséquences systémiques de leur fonctionnement et la publication régulière de ces résultats doivent être exigées de tous les acteurs, peu importe leur nombre d’utilisateurs.
Sans ces garanties, le DSA passerait à côté d’une occasion historique. Certaines plateformes pourraient choisir de se stabiliser sous un certain seuil d’abonnés en optant pour un modèle basé sur l’orientation politique et s’épargner ainsi de remettre en question leur fonctionnement.
Les États-Unis sont classés 44ème sur 180 pays sur le Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2021 par RSF.