Élections au Tchad : RSF s’inquiète de la suspension du “Libérateur” et d’entraves à la couverture médiatique
Un média empêché de couvrir un meeting politique, un autre suspendu de manière abusive par l’autorité de régulation, les émissions interactives à l’arrêt... À quelques jours de l’élection du prochain président de la république au Tchad, Reporters sans frontières (RSF) s’alarme de l’augmentation des entraves à la liberté de la presse.
C’est un journaliste d’un média non-officiellement créé, Manara Radio Télévision, qu'a choisi le président de transition, Mahamat Idriss Déby, pour son interview de lancement de campagne électorale prévue le 6 mai prochain, aux côtés d’un site d’information reconnu, Tchadinfos, et l’Office national des médias audiovisuels du Tchad, l’institution gouvernementale en charge de la radio et de la télévision. Un choix surprenant, d’autant plus lorsqu’il s’avère que le groupe de presse inauguré officiellement le lendemain de cet interview, le 15 avril, est la propriété de Hassan Abdelkerim Bouyebri, qui n’est autre que le directeur général de la communication de la présidence.
Ce conflit d’intérêt avéré s’inscrit dans un contexte où plusieurs organes de presse privés et indépendants sont entravés dans leur couverture électorale. Le 15 avril, les journalistes du site d’information en ligne Alwihda.info ont été empêchés, par les services de sécurité, de couvrir le premier meeting de Mahamat Idriss Déby à N’Djamena, la capitale du pays. Le matériel du caméraman du média a également été saisi et rendu à la fin de l’événement. Pour contester cette entrave, Alwihda.info a décidé de ne pas couvrir la campagne du candidat Déby.
L’autorité de régulation a quant à elle suspendu abusivement deux médias en activité : Al-Idath et Le Libérateur.
Alors que le Tchad s’achemine vers une élection présidentielle cruciale, une succession d’entraves à la liberté de la presse viennent détériorer le droit à l’information de la population. RSF s’en inquiète, et appelle la HAMA - l’autorité de régulation – à véritablement réguler et non restreindre l’espace médiatique tchadien, et exhorte les candidats à respecter et garantir le travail des journalistes dans un pays qui n’est aujourd’hui que 109e au Classement de la liberté de la presse.
Plusieurs mesures restrictives prises par la HAMA
Quelques jours avant le début de la campagne électorale, la Haute Autorité des médias et de l’audiovisuel (HAMA) a interdit la diffusion et la rediffusion de toute émission interactive durant la campagne présidentielle. “Ce n’est pas la première fois que nous interdisons les émissions à micro ouvert lors d’une campagne. Il s’agit d’éviter les dérapages et de maintenir un équilibre de l’information en période électorale.” avance le président de la HAMA, Abderamane Barka. Une restriction qui tend pourtant à taire la parole des citoyens et de la société civile et qu’a notamment dénoncé le Patronat de la presse tchadienne, selon Radio France internationale (RFI)
Un mois auparavant, le 19 mars, le régulateur des médias a suspendu au moins 19 radios, 24 journaux imprimés et 7 journaux en ligne pour “arrêt de parution et non-respect du dépôt légal”. Or, selon les informations recueillies par RSF, deux de ces journaux ont pourtant respecté leurs obligations : Al-Idath et Le Libérateur. Si le premier a vu sa suspension annulée une semaine après sa proclamation, le second est lui toujours interdit de publication. Abderamane Barka joint par RSF justifie la décision : “Le Libérateur n’a pas effectué de dépôt légal sur ces trois dernières parutions, ce qui a conduit à sa suspension.” Mais selon le directeur de publication du journal, Jules Daniel Yo-hounkilam : “La HAMA a expressément refusé de traiter notre demande de rétablissement déposée le 20 mars. Le rédacteur en chef a pourtant effectué le dépôt légal le 12 février, date de parution de notre dernier numéro”.
Une insécurité grandissante pour les journalistes
En période électorale, RSF rappelle que la protection des journalistes et le respect du droit à l’information sont des enjeux cruciaux dans ce pays où l’insécurité pour les journalistes n’a cessé d’augmenter ces derniers mois. Le directeur de publication du Libérateur avait été menacé par l’ancien directeur de l’Office nationale pour la promotion de l’emploi (ONAPE) à la suite d’une enquête sur la gestion de établissement public publiée en novembre 2023, et a été forcée à la clandestinité de décembre 2023 à mars 2024 après une tentative d’enlèvement survenue le 5 décembre. Le journaliste de la radio communautaire de Mongo Idriss Yaya a été tué par balles par un individu non identifié le 1er mars à Djondjol, au centre du pays. En 2023, au moins deux journalistes tchadiens ont échappé à des tentatives d’enlèvement.