Depuis sa prise de pouvoir, Paul Kagamé s’abrite derrière le souvenir du génocide de 1994, époque où les médias attisaient la haine raciale, pour justifier son contrôle sur la presse.
Paysage médiatique
Miné par des décennies de répression, le paysage médiatique rwandais est l’un des plus pauvres du continent africain. Les chaînes de télévision sont contrôlées par le régime ou par le biais d’actionnaires membres du parti au pouvoir. La plupart des radios orientent leurs programmes vers la musique et le sport pour éviter d’avoir des problèmes. Dans un pays qui compte 12 millions d’habitants, il n’existe plus un seul titre national de presse écrite. La pratique du journalisme d’investigation est peu répandue et, ces dernières années, les journalistes qui ont tenté de diffuser des informations sensibles ou critiques via les médias en ligne, notamment sur YouTube, ont été lourdement condamnés.
Contexte politique
En août 2017, la réélection de Paul Kagamé pour un troisième mandat a renforcé un régime répressif et de censure. Les propriétaires des médias doivent faire allégeance au gouvernement, et de nombreux journalistes ont été contraints de suivre un programme dédié au patriotisme ou de devenir membre du parti au pouvoir. Les autorités peuvent directement intervenir pour faire licencier ceux qui résisteraient. Le souvenir du génocide et des médias de la haine, comme Radio Mille Collines, est largement instrumentalisé pour empêcher toute voix dissidente et critique de s’exprimer.
Cadre légal
Si la diffamation a été décriminalisée, la réforme du Code pénal de 2018 a maintenu des peines de prison pour outrage et pour diffamation du chef de l’État par voie de presse. Les journalistes sont souvent poursuivis pour des motifs qui ne relèvent pas de l’exercice de leur fonction ou sont considérés comme des activistes, une technique classique pour se prévaloir de ne pas détenir de journaliste en prison. La surveillance en toute illégalité des communications téléphoniques des journalistes rend la confidentialité de leurs conversations et la protection des sources inopérantes.
Contexte économique
L’absence d’un secteur privé fort et indépendant du parti au pouvoir restreint drastiquement le marché publicitaire. La corruption et les avantages offerts à certains journalistes pour influencer leur travail sont des pratiques courantes. La précarité des postes et les fortes pressions et intimidations qui entourent le métier de journaliste constituent autant de repoussoirs pour les jeunes générations qui s’orientent plus facilement vers des postes de communicants, mieux rémunérés et moins risqués.
Contexte socioculturel
Le spectre du génocide hante encore la mémoire collective et les sujets qui lui sont liés doivent être traités en accord avec la vision du régime de Paul Kagamé. La liberté d’expression se heurte à trois décennies de peur et de culture du silence, rendant le travail des journalistes compliqué.
Sécurité
Surveillance, espionnage, arrestations, disparitions forcées… Au Rwanda, tout est fait pour que les journalistes ne puissent pas exercer librement. Depuis 1996, neuf professionnels des médias ont été tués ou portés disparus, et 35 ont été contraints à l’exil. Plusieurs, y compris à l’étranger, ont également fait partie des cibles du régime dans l’affaire Pegasus, du nom d’un logiciel de surveillance. ll est également fréquent que des agents du renseignement suivent des journalistes en reportage. Ces dernières années, les arrestations et détentions arbitraires se sont multipliées et les journalistes qui exercent en ligne ont été l’objet d’une intense répression. Cela alors que le pays connaît un haut degré d’impunité pour les crimes commis contre les professionnels des médias.