Enquête RSF : les journalistes dans le viseur des groupes mafieux
Ce 29 novembre, lors d’une conférence de presse à Paris, Reporters sans frontières (RSF) a dévoilé son nouveau rapport d’enquête “Les journalistes, bêtes noires de la mafia”. L’organisation y met en lumière la traque incessante des groupes mafieux contre les journalistes, dès lors que ces derniers s’intéressent d’un peu trop près à leur business.
Se taire ou risquer sa vie, voilà l’alternative pour les journalistes qui enquêtent sur la mafia. En LIRE LE RAPPORTICIdeux ans (2017-2018), plus de 30 journalistes ont été tués par des groupes mafieux dans le monde. C’est ce que révèle Reporters sans frontières dans son rapport “Les journalistes, bêtes noires de la mafia”, publié ce 29 novembre. Pendant des mois, l’organisation a enquêté, recueilli la parole de journalistes menacés et de leurs proches. Certains d’entre eux vivent 24h/24 sous protection policière après avoir subi le courroux de la mafia pour leurs enquêtes. D’autres racontent comment les mafieux ont tenté de brûler leur maison, s’en sont pris à leur famille ou évoquent leurs collègues et leurs proches disparus, assassinés en représailles de leurs écrits. Tous sont unanimes pour dire que la mafia, qui abhorre la publicité, ne recule devant rien pour faire taire les journalistes un peu trop curieux.
“Les journalistes qui enquêtent sur des sujets aussi dangereux que la mafia se retrouvent bien souvent seuls et démunis face aux représailles, déclare Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. Les Etats doivent tout mettre en oeuvre pour leur apporter le soutien et la protection adéquats, et non faire la sourde oreille aux demandes de protection, encore moins exercer un chantage odieux comme l’a fait récemment le ministre de l’intérieur italien contre Roberto Saviano.”
Ces puissances mafieuses ne connaissant pas de frontières. Au Mexique, au Brésil et en Colombie, pays des cartels de la drogue, au moins 10 journalistes ont été tués cette année par la mafia. Un chiffre qui pourrait être bien plus élevé dans ces pays où l’impunité règne dès lors que mafieux et politiciens s’allient contre un journaliste. En Inde, au Cambodge et dans certains pays d’Afrique, les groupes mafieux font fortune en pillant les ressources naturelles au mépris de toutes les règles environnementales. Les journalistes qui révèlent ces trafics de minerai, de bois et de pétrole s’exposent aux pires représailles. En mars, un journaliste indien, Sandeep Sharma, connu pour ses enquêtes sur la « mafia du sable », est mort, écrasé volontairement par un camion-benne.
L’Europe n’a pas été épargnée avec les assassinats des journalistes d’investigation Daphne Caruana Galizia, en 2017, tuée dans l’explosion de sa voiture à Malte, et de Jan Kuciak, tué avec sa compagne, en février 2018, en Slovaquie. Tous deux s’intéressaient à la mafia italienne et à certaines de leurs opérations financières opaques impliquant businessmen et hommes politiques. En Italie, une dizaine de journalistes, à l’image de Roberto Savianoou de Paolo Borrometti, vivent sous escorte policière permanente. Ce dernier a échappé cette année à une tentative d’assassinat en Sicile. L’an dernier, ils étaient plus de 200 journalistes à avoir bénéficié d’une protection en Italie.
Que faire face à l’étendue de la puissance mafieuse qui bénéficie souvent de la complicité, du moins de la passivité, des autorités ? Comment continuer à travailler sans risquer sa vie et celle de sa famille quand on sait que la mafia ne recule devant rien. En 2006, au Japon, les yakuzas n’avaient pas hésité à enlever et à assassiner le fils du célèbre journaliste Mizoguchi Atsushi en représailles à ses enquêtes. Depuis l’autocensure est la règle.
Face à une telle violence, certains ont préféré renoncer. C’est le choix douloureux qu’a fait le patron du journal mexicain Norte de Ciudad Juárez après l’assassinat l’an dernier de sa collaboratrice Miroslava Breach. D’autres, comme Pavla Holcova,collègue de Jan Kuciak, se servent de leur plume comme d’une arme et estiment que poursuivre les enquêtes, révéler au monde entier les activités illégales de tel ou tel groupe criminel est le meilleur moyen de se protéger. Mais cela suppose de réduire les risques et de s’organiser. C’est le choix que font de plus en plus de journalistes qui mettent leur travail en commun et mènent des enquêtes collaboratives au sein de grands consortiums internationaux. Une réponse collective face à la pieuvre.
Ce rapport a été généreusement soutenu par la Sätila Foundation.