Le journalisme fragilisé par l’érosion démocratique
La publication de l’édition 2017 du Classement mondial de la liberté de la presse par Reporters sans frontières (RSF) révèle que les violations de la liberté d’informer sont de moins en moins l’apanage des seuls régimes autoritaires et des dictatures. En démocratie aussi, cette liberté a priori acquise s’avère de plus en plus fragile. A force de propos nauséabonds, de lois liberticides, de conflits d’intérêt et même de coups de matraque, les régimes démocratiques multiplient les accrocs contre une liberté qui est en principe l’un des principaux indicateurs de leur bon fonctionnement.
En l’espace d’un an seulement, le nombre de pays où la situation pour les médias est considérée comme “bonne” ou “plutôt bonne” a diminué de 2,3%. Les pays érigés en modèle démocratique n’échappent plus à cette chute : le Canada (22è pays sur 180) perd 4 places dans le Classement cette année, les Etats-Unis (43è position) en perdent 2, la Pologne (54è) 7, la Nouvelle-Zélande (13è) 8 et la Namibie (24è) 7. L'érosion de la liberté de la presse est particulièrement visible dans les démocraties européennes. En 2017, même les bons élèves nordiques qui occupaient habituellement la tête du Classement RSF ont perdu des places (- 3 pour les Pays-Bas; - 2 pour la Finlande qui perd pour la 1ère fois depuis six ans sa place de 1er). Et si l’Europe demeure la zone géographique la mieux placée en terme d’indice global, il s’agit en même temps du continent qui a connu la plus forte dégradation de son indice en l’espace de cinq ans : 17,5%. A titre de comparaison, l’indice de la zone Asie - Pacifique a connu une variation de 0,9% sur la même période.
“Les démocraties qui ont fait de la liberté de la presse un de leurs fondements doivent rester un modèle pour le reste du monde et non l’inverse, s’alarme Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières. A force de rogner sur la liberté fondamentale d’informer au prétexte de protéger leurs citoyens, les démocraties risquent d’y perdre leur âme.”
Evolution de la répartition des couleurs dans le classement depuis 2013
Cette régression des démocraties sur le terrain de la liberté de la presse n'est pas nouvelle. Elle était déjà perceptible dans les classement précédents. Mais ce qui frappe cette année, c'est l'ampleur et la nature des attaques constatées
Evolution des indices régionaux (de la plus grosse à la plus faible)
I. Rhétorique toxique et autres pressions politiques
L’élection du 45è président des Etats-Unis a précipité la chasse aux journalistes. Les diatribes répétées de Donald Trump accusant le 4è pouvoir et ses représentants, “parmi les êtres humains les plus malhonnêtes au monde” de volontairement propager des “fake news”, des informations erronées, n’ont pas seulement mis à mal une longue tradition américaine de lutte pour la liberté d’expression. Les propos haineux, les accusations de mensonges du nouveau chef de la Maison Blanche contribuent aussi à désinhiber les attaques contre la presse un peu partout à travers le monde, y compris dans les pays démocratiques.
D’une campagne électorale à l’autre. Après l’Amérique, c’est la France (39è position dans le Classement 2017) qui doit désigner son nouveau président et qui devient le terrain où certains responsables politiques multiplient les attaques verbales contre “les médias menteurs”. Dans un climat particulièrement violent et délétère, où il devient normal d’insulter les journalistes, de les faire siffler et huer lors de meetings quand ils ne sont pas déclarés persona non grata, les Français plongent à leur tour dans le monde des “faits alternatifs” et de la “post-vérité”.
Donald Trump n’a pas le monopole du “média bashing”
Discréditer les médias est l’arme préférée des “anti-système”. Donald Trump s’en est abondamment servi, tout comme Nigel Farage, en Grande-Bretagne (40è, -2). L'ex-chef du parti xénophobe Ukip a fait de l’attaque des médias, en particulier la BBC, le pilier de sa campagne en faveur du Brexit. En Italie (52è), le chef de file du Mouvement 5 Etoiles, le comique populiste reconverti à la politique, Beppe Grillo, proclame préférer son blog aux questions fastidieuses de la “caste” journalistique et appelle à la mise en place d’un jury populaire pour déterminer la véracité des informations publiées par les journalistes.
La rhétorique anti-médias américaine résonne jusque sur le continent africain. Tandis que Donald Trump et son porte-parole, Sean Spicer, menacent la presse de représailles (“les journalistes devront rendre des comptes”), en Tanzanie, (qui perd 12 places dans le Classement 2017), le président John Magufuli prévient que les jours de journaux accusés de créer des dissensions sont comptés. En limogeant récemment son ministre de l’Information qui déclarait avoir “la responsabilité de protéger les médias et la liberté d'expression” et qui critiquait l'intrusion du gouverneur de Dar es Salaam dans les studios d'une radio-télévision privée, le président surnommé "tingatinga", "bulldozer" en swahili, a confirmé qu’il était capable d’attaquer la liberté de la presse de façon totalement décomplexée.
Si le recours aux paroles toxiques qui contribuent à décrédibiliser la presse auprès du grand public est rapidement devenu un outil de pression parmi d’autres, les responsables politiques n’ont pas pour autant renoncé aux méthodes classiques de pressions politiques pour entraver le travail des médias.
Les pressions politiques directes et indirectes
L’année qui vient de s’écouler regorge d’exemples de dirigeants issus de pays qualifiés de démocratiques qui ont directement tenté d’intervenir pour modifier le contenu de publications. Le cas le plus marquant est certainement celui de la Finlande. Arrimé à la place de 1er du Classement RSF depuis six ans, le pays et ses journalistes habitués aux bonnes pratiques professionnelles n’étaient visiblement pas préparés à subir les foudres d'un Premier ministre qui s'est directement immiscé dans les programmes de la radio publique Yle pour qu'elle ne traite plus d’un possible conflit d'intérêts dans lequel il serait impliqué. D’autres cas de pressions politiques directes et de tentatives d’entrave au travail journalistique ont également été répertoriés en Uruguay (25è position, - 5 places au Classement 2017) et au Chili (33è position, - 2 places). A chaque fois, des pressions au plus haut niveau de l’Etat ou de ses institutions se sont produites dans le but d’étouffer des affaires de corruption, de malversations financières ou de conflits d’intérêts. Même cas de figure au Niger (61e, -9). Ce pays qui avait montré l’exemple en étant le premier sur le continent africain à ratifier la déclaration de Windohek dépénalisant les délits de presse s’est finalement retourné contre trois de ses journalistes. Leur tort : avoir publié des informations impliquant plusieurs personnalités nigériennes.
Pour éviter de devoir intervenir a posteriori, certains dirigeants de pays démocratiques ont opté pour renforcer leur pouvoir et leur contrôle en amont. Le cas le plus emblématique est celui de la Pologne, qui poursuit sa chute dans le Classement (- 7 places en 2017 après une baisse spectaculaire l’année précédente de 29 places). Depuis deux ans, le gouvernement conservateur polonais a mis en place une série de réformes très controversées qui ont notamment permis de soumettre la télévision et la radio publique au contrôle de l’exécutif et de remplacer ses dirigeants séance tenante. Après avoir transformé les médias publics en outils de propagande et étranglé financièrement plusieurs titres de presse indépendants opposés à ses réformes, le parti ultraconservateur Droit et Justice (PiS) continue malgré les critiques, son entreprise affichée de “repoloniser” le secteur de la presse.
Dans une moindre mesure, mais de façon tout aussi inquiétante, les pressions exercées par le Premier ministre israélien contre la presse deviennent de plus en visibles. Même si Israël (91e), souvent qualifié de “seule démocratie du Proche-Orient”, gagne des places dans le Classement 2017, Benyamin Netanyahou, est décrit comme “obnubilé par les médias et les journalistes qu’il considère comme ses ennemis” et tente depuis plusieurs mois d’affaiblir les pouvoirs de l’Institut public de radiotélévision, dont les émissions sont jugées “indociles”.
II. Les sources traquées
Les journalistes sont “les chiens de garde de la démocratie” et la protection de leurs sources d’information est “la pierre angulaire de la liberté de la presse”. Ces principes consacrés par la Cour européenne des droits de l’homme sont de plus en plus ouvertement attaqués à travers le monde y compris dans les pays démocratiques qui les avaient édictés comme règle. Même si les révélations des « Panama papers » en 2016 ont rappelé, si besoin était, l’importance du rôle des lanceurs d’alerte et des médias pour informer les citoyens sur des questions d’intérêt général, la tendance reste à l’adoption d’arsenal législatif et de dispositions mettant à mal les conditions essentielles et nécessaires à l’exercice d’une presse libre. Ce qui revient de facto à bâillonner encore un peu plus le journalisme d’investigation.
Des démocraties sous surveillance
En Allemagne (16e place dans le Classement 2017 sur 180 pays), sous couvert de lutte contre le terrorisme et de mise en conformité avec le droit et la Constitution, le Bundestag a voté à l’automne 2016 une loi qui autorise la surveillance de masse sans aucune exception pour les journalistes. Tout citoyen non allemand et non ressortissant de l’UE, journalistes et avocats compris, peut désormais être légalement espionné par les services de renseignement extérieur allemands, le BND. Très critiquée et controversée, cette loi a finalement contribué à légaliser des pratiques antérieures : quelques mois après l’adoption de la loi, les Allemands ont découvert que le BND avait, dès 1999, placé sur écoutes une cinquantaine de journalistes ou de médias pour une durée indéterminée.
C’est également à la fin 2016 que le Royaume-Uni (40è position, - 2 places en 2017) s’est doté d’une nouvelle loi permettant aussi l’élargissement des pouvoirs de surveillance des services secrets britanniques. Surnommé la “Charte des fouineurs” (“Snoopers’ Charter”), la Investigatory Powers Bill (IPB) met le Royaume-Uni dans la position peu enviable du pays qui a adopté “la loi de surveillance de masse la plus intrusive de l’histoire des démocraties”, qui ne contient aucune disposition pour protéger les journalistes et leurs sources. Mais ce n’est pas tout. Faisant fi des critiques et des inquiétudes déjà exprimées, le Royaume-Uni, début 2017, a ajouté sur la table des parlementaires une nouvelle proposition de loi qui permettrait, si elle est adoptée, de faire condamner à 14 ans de prison les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes et les lanceurs d’alerte pour espionnage.
Les lanceurs d’alerte dans la ligne de mire des autorités
En refusant d’acquitter en appel Antoine Deltour et Raphaël Halet, les deux lanceurs d’alerte français à l’origine du scandale Luxleaks, la justice luxembourgeoise a sans aucun doute envoyé un signal négatif aux pays qui, comme la Grande-Bretagne ou la Nouvelle-Zélande, envisagent de criminaliser les lanceurs d’alerte et les sources des journalistes. La volonté de Wellington de punir de cinq ans de prison les fuites d’informations à la presse et de renforcer drastiquement les pouvoirs de ses services de renseignement inquiète un nombre croissant de journalistes et a contribué à faire dégringoler la Nouvelle-Zélande de 8 places et de la rétrograder au 13è rang dans le Classement 2017.
Si pour le Chili la chute a été moins spectaculaire (- 2 places), la promulgation de deux réformes, surnommées “Leyes Mordaza”, les “lois bâillons”, qui permettent de sanctionner les auteurs de fuites sur des enquêtes judiciaires en cours, a suscité de très vifs débats au sein de la société chilienne, ayant en effet été votées alors que plusieurs personnalités politiques, grands chefs d’entreprise et militaires chiliens faisaient l’objet d’enquêtes judiciaires pour de multiples affaires de corruption, d’abus de pouvoir ou encore de financement illégal de campagne.
Dans ce tableau plutôt sombre, la France aurait pu faire figure d’exemple. En adoptant à l’automne 2016 la loi du député Patrick Bloche “visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias”, l’Assemblée nationale s’était clairement prononcée en faveur de la protection du secret des sources. Quelques semaines plus tard, le Conseil constitutionnel a annulé les dispositions prévues par la loi Bloche qui protégeaient les sources des journalistes, faisant ainsi un bond en arrière.
Le journalisme d’investigation en danger
Le durcissement des cadres législatifs est rarement de bon augure pour les journalistes. Le Canada, qui avait déjà perdu 10 places dans le précédent Classement pour avoir notamment adopté en 2015 la loi antiterroriste C-51, considérée comme très restrictive pour la liberté d’expression, a été secoué cette année par une série de scandales qui rappellent justement l’enjeu et la fragilité du secret des sources. Courant 2016, pas moins de six journalistes ont appris avoir été placés sur écoute par la police du Québec qui avait quelques semaines auparavant défrayé la chronique pour avoir saisi l’ordinateur d’un journaliste lors d’une perquisition au siège de son journal. A Montréal, la police a pour sa part émis pas moins de 24 mandats de surveillance à l’encontre du journaliste Patrick Lagacé pour espionner son téléphone portable. Dans chaque cas, le but de la surveillance était d’identifier des sources que les journalistes ont pourtant pour devoir de protéger. Un principe particulièrement mis à mal dans le cas d’une affaire opposant un journaliste de Vice News à la police et la justice. Malgré la mobilisation des médias canadiens et des organisations de défense des libertés, dont RSF, Ben Makuch a été contraint par une cour d’appel de l’Ontario à remettre à la police le contenu de ses conversations téléphoniques avec un djihadiste présumé.
De façon tout aussi décomplexée et inquiétante, le voisin nord-américain du Canada continue d’appliquer des mesures qui menacent régulièrement le droit à l’information. Et notamment le journalisme d’investigation qui dépend directement de la sécurité, et souvent, de l’anonymat des informateurs. L’obsession de l’administration Obama de contrôler l’information et de lutter contre les lanceurs d’alerte s’est notamment traduite en 2016 par le maintien en détention du lanceur d’alerte Jeffrey Sterling et la multiplication des contrôles aux frontières de journalistes américains ou étrangers, contraints de remettre leurs appareils électroniques à la police. La toute récente suggestion du nouveau responsable américain de la sécurité intérieure, John Kelly, d’obliger toute personne souhaitant entrer sur le sol américain à remettre leurs mots de passe pour pouvoir examiner leurs activités sur les réseaux sociaux, laisse présager du pire. Une telle mesure, si elle était appliquée, pourrait avoir de sérieuses implications sur la protection des sources et la pluralité de l’information.
III. L’indépendance mise à mal
L’année qui vient de s’écouler a vu également s’accentuer un peu partout la tendance à la concentration des médias. Le nombre de ceux qui les détiennent s'amenuise peu à peu, aggravant ainsi leur dépendance aux pouvoirs politiques et économiques. En France notamment, la concentration de la plupart des grands médias n’a jamais été aussi avancée et le risque de conflits d’intérêts aussi grand. Même si elle ne perd pas de place dans le Classement 2017, la France a été marquée par plusieurs crises qui ont rappelé la fragilité de l’indépendance des journalistes et du même coup le droit de chacun à disposer d’une information libre et honnête.
Si l’industriel breton Vincent Bolloré n’a jamais caché son intention de peser sur les contenus éditoriaux des médias propriétés de son groupe Vivendi, la déprogrammation d’une enquête sur le Crédit Mutuel dirigé par l’un de ses amis, puis la suppression de l’impertinent “Zapping” et de l’émission “Spécial Investigation” sur Canal + a illustré “ jusqu’à la caricature, les effets d’un management cavalier sur l’indépendance de l’information”. La grève à iTélé, le deuxième plus long conflit social dans l’audiovisuel depuis mai 68, a montré les tentatives d’une rédaction de défendre son indépendance éditoriale et une forme éthique du journalisme. Un combat dur et pour le moins inégal, qui s’est soldé par le départ d’une centaine de salariés de la chaîne, toujours non remplacés à ce jour.
La méthode de l’étouffement économique
L’indépendance financière et éditoriale est également l’un des principaux enjeux du conflit qui oppose, en Pologne, les conservateurs nationalistes de Droit et Justice (PiS) et les médias indépendants. Les autorités polonaises ont notamment opté pour le boycottage et l’étouffement économique progressif des médias d’opposition en limitant leur distribution et en interdisant aux administrations publiques de renouveler leurs abonnements ou de publier de la publicité dans les pages des journaux qui se trouvaient dans le collimateur du pouvoir. Le manque à gagner s’est ainsi rapidement fait sentir pour le quotidien d’opposition Gazeta Wyborcza qui se trouve aujourd’hui dans une situation critique. Cette méthode est également utilisée en Namibie (24è position, - 7 places). Ce pays, qui jusqu’à présent a toujours été bien placé dans le Classement RSF, prive désormais les médias indépendants de contenus (les agences et bureaux gouvernementaux ont dorénavant pour obligation de transmettre leurs informations aux seuls médias publics) et de revenus publicitaires.
L’étouffement mène parfois à une mort brutale. En Hongrie, qui continue sa chute dans le Classement RSF pour la 4ème année consécutive et qui occupe désormais la 71è place sur 180 pays, le principal journal de gauche et d’opposition, Népszabadság, a été victime “d’un putsch économique”. Début octobre 2016, au prétexte de ses difficultés économiques, le quotidien a été brutalement et définitivement fermé par son propriétaire, un homme d’affaire autrichien, fortement soupçonné d’être en collusion avec le gouvernement de Viktor Orbàn.
“L’ensemble de ces pressions ronge peu à peu nos démocraties de l’intérieur et peut insidieusement pousser les journalistes à opter pour l’auto-censure afin d’éviter des représailles économiques ou simplement le risque d’être la cible d’attaques verbales de plus en plus violentes, constate Virginie Dangles, rédactrice en chef de Reporters sans frontières. Cette tendance est d’autant plus inquiétante que les régimes démocratiques n’hésitent plus à recourir à des méthodes de plus en plus radicales pour entraver le travail de la presse”.
IV. Les multiples obstacles sur le terrain
Les démocraties hyper connectées d’aujourd’hui font visiblement plus attention à leur image qu’à leurs principes fondateurs qui comprennent celui d’informer librement. C’est ainsi qu’en avril 2016, l’Espagne (29è rang sur 180) a condamné un photographe professionnel à verser une amende de 600€ pour avoir simplement posté sur Twitter des photos de l’arrestation d’une femme par la police. Cette condamnation a été rendue quelques mois après l’adoption par Madrid d’une nouvelle loi sur la sécurité citoyenne. Cette “loi bâillon”, qui vise à protéger l'image de la police espagnole et restreint de façon drastique le droit à manifester, entrave aussi tout à fait légalement le droit des journalistes de collecter et diffuser des informations.
Même en l’absence de dispositions législatives spécifiques, l’actualité de l’année écoulée regorge d’exemples qui confirment la difficulté croissante pour les journalistes d’exercer leur profession sur le terrain et notamment de couvrir des manifestations. Au Canada, le cas du journaliste Justin Brake poursuivi par la justice, après avoir couvert les manifestations des opposants au projet de construction d’une centrale hydroélectrique à Muskrat Falls à l’automne 2016 et qui risque jusqu’à dix ans de prison, a été perçu comme une attaque directe contre la liberté de la presse. Aux Etats-Unis, pas moins d’une dizaine de journalistes, dont Amy Goodman, la célèbre animatrice et productrice de l’émission Democracy Now! ont été arrêtés et menacés de poursuites pour avoir couvert des manifestations contre un projet de construction d’oléoduc controversé dans l’Etat du Dakota du Nord. Dans les États de New York et de Louisiane, ce sont cinq autres journalistes qui ont été arrêtés et accusés d’entrave sur la voie publique alors qu’ils couvraient des manifestations #blacklivesmatter dénonçant les violences policières contre la communauté afro-américaine.
Des sujets défendus aux coups de matraques
Les régimes démocratiques ne manquent pas d’imagination pour limiter le travail des journalistes autour des sujets dits sensibles ou dérangeants. Interdire une manifestation d’opposition et du même coup sa couverture est une technique moins subtile que celle récemment utilisée par la Namibie, qui fait pourtant figure de modèle démocratique sur le continent africain. Après avoir été dûment et officiellement accrédités par les autorités, deux journalistes japonais se sont vu confisquer leur matériel de tournage à l’aéroport international Hosea Kutako. Entre-temps, ils avaient enquêté sur l’installation d’une usine de munitions nord-coréenne dans le pays.
La France aussi a ses sujets tabous ou pour le moins délicats à rapporter. En dehors de la couverture extrêmement encadrée et limitée des opérations de démantèlement de “la jungle” de Calais, suivre la question des migrants s’avère parfois ardu, en particulier pour les journalistes indépendants. Au cours de l’année 2016, plusieurs photographes et journalistes ont été interpellés et mis en garde à vue alors qu’ils réalisaient des reportages sur les migrants dans les régions de Calais ou à la frontière franco-italienne.
Le cas de Laurent Carré, jeté à terre et malmené par les gendarmes, lors d’une intervention dans la vallée de la Roya, alors qu’il s’était clairement identifié comme photo-reporter travaillant pour Libération questionne d’une façon plus générale l’attitude des forces de l’ordre françaises envers la presse lors d'événements où elle sont directement impliquées. Les violences policières envers les médias, qui ont connu leur paroxysme durant les manifestations contre la loi travail en avril et mai 2016 ; les vidéos montrant que des personnes filmant ou photographiant les rassemblements étaient intentionnellement frappées ou encore les témoignages de journalistes expliquant que leur brassard presse faisaient d’eux une cible au lieu de les protéger, révèlent des entraves à la liberté d’informer indignes d’une démocratie.