Un vidéaste amateur pakistanais tué pour une enquête sur le braconnage
Basé dans la province du Sindh, dans le sud du Pakistan, Nazim Jokhiyo avait publié des vidéos sur l’organisation d’expéditions de chasse illégales à destination de dignitaires arabes venus du Golfe. Reporters sans frontières (RSF) – qui relaie l’appel à la COP26 de plus de 60 journalistes spécialistes de l’environnement pour la défense du droit à l’information – exige qu’une enquête indépendante identifie tous les commanditaires de cet assassinat et les traduisent devant la justice.
“Je n’ai pas peur. J’ai reçu des menaces, mais je ne me récuserai pas.” Quelques heures après avoir prononcé ces mots dans un message vidéo publié en ligne, Nazim Sajawal Jokhiyo a été retrouvé mort hier, mercredi 3 novembre vers 14 h 30 à Malir, un district situé en banlieue de Karachi, dans le sud du Pakistan. Son corps était recouvert de marques de coups et de tortures.
Avant son assassinat, Nazim Jokhiyo avait publié une autre vidéo dans laquelle on voit une équipe de braconniers organiser une partie de chasse pour des “invités étrangers” - avant que le clip vidéo ne soit coupée, on aperçoit un homme de main s’approcher de l’objectif, menacer son propriétaire et saisir la caméra.
Avec ce reportage vidéo, Nazim Jokhiyo entendait dénoncer la pratique du braconnage de l’outarde houbara d’Asie, un oiseau en voie de disparition dont la chasse est officiellement interdite au Pakistan, mais qui reste toutefois autorisée pour de riches dignitaires venus des pétromonarchies du Golfe arabo-persique. Il avait pour cela enquêté sur la venue de plusieurs de ces “hôtes étranger” dans sa localité de Jangshahi, à l’invitation d’un potentat local, Jam Owais Gohram Jokhiyo, député de l’assemblée régionale du Sindh.
Après plusieurs menaces, ce dernier a convoqué à la “Jam House”, du nom de son domaine, l’auteur de la vidéo afin qu’il vienne “s’expliquer”. Nazim Jokhiyo s’y est rendu mardi 2 novembre, en fin de matinée. C’est la dernière fois que des témoins l’ont vu en vie.
Totale impunité
“La brutalité avec laquelle Nazim Jokhiyo a été éliminé est d’autant plus choquante que son meurtre a été prémédité par un parlementaire qui a pignon sur rue dans la région, déplore le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. Nous appelons le Premier ministre de la province du Sindh, Murad Ali Shah, a ordonner une enquête indépendante pour identifier les exécutants et les commanditaires de l’assassinat de Nazim Jokhiyo, qui a payé de sa vie sa volonté d’informer ses concitoyens sur les abus d’un potentat local. Son crime ne doit pas rester impuni. ”
Issu d’une ancienne lignée de propriétaires terriens, Jam Owais Gohram Jokhiyo est membre du Parti du peuple pakistanais (PPP), au pouvoir dans la province du Sindh. Si la police a affirmé, aujourd’hui jeudi 4 novembre, avoir arrêté deux hommes de main suspectés d’avoir battu à mort Nazim Jokhiyo, les commanditaires de cet assassinat n’ont, pour l’heure, pas été inquiétés.
Interrogé sur cette affaire, le ministre de l’information du Sindh, Hussain Shah, s’est contenté d'affirmer que son gouvernement avait “pris note de cet incident”.
L’assassinat de Nazim Jokhiyo entre dramatiquement en écho avec la Journée internationale contre l'impunité des crimes commis contre des journalistes, instaurée chaque année le 2 novembre, par les Nations unies. Les chiffres de l’organisation Freedom Network, partenaire de RSF au Pakistan, montrent que l’impunité est totale pour les assassins de journalistes depuis près d’une décennie.
Le Pakistan se situe actuellement à la 145e place sur 180 pays dans l’édition 2021 du Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF.