Tanzanie : l’impossible couverture de l’épidémie de Covid-19

Reporters sans frontières (RSF) condamne l’absence de transparence sur la situation sanitaire depuis le début de l’épidémie en Tanzanie et demande aux autorités de garantir l’accès à des informations essentielles. Le libre exercice du journalisme, fortement malmené depuis quelques années, doit également être assuré.

Plus de 500 cas et 21 morts. Ces chiffres, publiés le 29 avril dernier, sont les dernières données relatives au coronavirus transmises par les autorités tanzaniennes. Le pays a depuis lors arrêté de communiquer sur les cas de covid-19, ne rendant aucune information officielle accessible. Joint par RSF, un journaliste basé à Dar es Salaam  reconnaît que "les citoyens s'inquiètent de la façon dont le gouvernement gère la crise, car les autorités ne publient pas les derniers chiffres de l’épidémie”. Une rédactrice en chef contactée par notre organisation confirme qu’aucune donnée n’est transmise que ce soit sur le nombre de cas testé positif ou sur le nombre de décès. “D’après les autorités, personne n’a le virus, donc elles ne peuvent pas en parler", ajoute-t-elle. Preuve que le sujet est tabou, les journalistes contactés sur ce sujet ont tous préféré garder l’anonymat.


“Le blackout de l’information organisé par les autorités tanzaniennes sur l’épidémie est tel que personne aujourd’hui n’est en mesure de savoir quelles ont été les conséquences réelles du virus dans le pays et quel est l’état de la situation sanitaire aujourd’hui, estime Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Ce manque de transparence et cette rétention d’information sont d’autant plus alarmants que tout a été fait depuis des années pour empêcher la production d’information indépendante dans le pays. Nous exhortons le président tanzanien à ne pas se tromper d’ennemi et à tout mettre en œuvre pour protéger sa population d’une crise sanitaire qui n’est pas terminée en rendant publiques les informations concernant l’épidémie et en garantissant le libre exercice du journalisme.”


L’impossibilité d’accéder aux informations des autorités sur la réalité sanitaire s’est doublé d’une politique particulièrement répressive à l’égard des voix mettant en cause la gestion de l'épidémie par les autorités. Le journaliste au quotidien Tanzania Daima Talib Ussi Hamad avait dû cesser ses activités pendant six mois à cause d’un reportage sur un patient atteint du virus, publié sans son consentement. Le journal Mwananchi avait quant à lui vu sa licence en ligne suspendue pour six mois et la chaîne de télévision locale en ligne Kwanza Online TV pour 11 mois suite à des publications portant sur le Covid-19. Enfin, trois organisations de médias avaient été condamnées par l’Autorité de régulation des communications de Tanzanie (TCRA) à une amende et avaient dû s'excuser pour avoir transmis des informations sur le même sujet.


En juillet et août dernier, la Tanzanie avait en outre durci son arsenal législatif en mettant en place un nouveau règlement réduisant drastiquement la liberté d’informer. Il est désormais interdit de publier des contenus proposant “des informations relatives à l'apparition d'une maladie mortelle ou contagieuse dans le pays ou ailleurs sans l'approbation des autorités”. La reproduction de contenus diffusés par des médias étrangers est également soumise à autorisation.


La récente réélection de John Magufuli pour un second mandat marquée par la coupure des réseaux sociaux laisse craindre que cette politique de prédation de l’information se poursuive. Depuis son arrivée au pouvoir, plusieurs journalistes ont été arrêtés, des médias suspendus et des lois très répressives ont été adoptées pour empêcher les journalistes de produire des informations de manière indépendante. Les autorités n’ont mené aucune enquête sérieuse concernant la disparition il y a 3 ans du journaliste de Mwananchi Azory Gwanda qu’un ministre avait même annoncé pour mort, avant de revenir sur ses propos.


Depuis 2016, la Tanzanie a perdu 53 places au Classement mondial de la liberté de la presse établi chaque année par RSF. Elle occupe désormais la 124e place sur 180 pays. Aucun autre État n’a connu une telle dégradation de sa situation ces dernières années.

Publié le
Updated on 05.11.2020