RSF demande au président gambien de s'engager en faveur de la liberté de la presse
Dans une lettre ouverte, Reporters sans frontières (RSF) demande au président gambien récemment élu, Adama Barrow, de s'engager fortement pour la liberté de la presse, en dénonçant les intimidations contre les journalistes. L'organisation l'encourage aussi à poursuivre les initiatives amorcées dans les domaine de la justice et de la recherche de la vérité sur les assassinats et disparitions de journalistes en Gambie sous l'ère Jammeh.
Adama Barrow
Président de la République
State House of the Gambia - Banjul
Gambie
Paris, le 9 mars 2017
Monsieur le Président,
Votre arrivée au pouvoir suscite de grands espoirs de changements démocratiques pour votre pays. Dans cet esprit, Reporters sans frontières (RSF), organisation internationale de défense de la liberté de la presse, attire votre attention sur la récente agression commise contre un journaliste.
Dimanche 5 mars 2017, lors d’une conférence de presse animée par vos ministres des Affaires étrangères, de l’Intérieur et du Tourisme, le journaliste de Foroyaa Kebba Jeffang a été violemment pris à partie par des militants. Pour avoir simplement posé une question sur un éventuel éclatement de votre coalition à l’approche des élections législatives, vos sympathisants l’ont expulsé de la salle, frappé et ont déchiré ses habits.
Ce type de comportement arbitraire ne peut être passé sous silence, car cela reviendrait à tolérer et laisser impunies les violences commises contre les journalistes, à l’image de ce qu’a fait votre prédécesseur, Yahya Jammeh, dont le long mandat a été marqué par des atteintes répétées aux droits de l’Homme et à la liberté d’expression.
Nous vous demandons, Monsieur le Président, de condamner sans équivoque cet acte de violence afin d’envoyer un message fort à vos sympathisants et à tous les Gambiens. Il est pour nous essentiel que vos concitoyens ne doutent pas qu’une ère nouvelle, marquée par le respect de la liberté de la presse et le refus de la moindre violence envers les journalistes, a bien commencé sous votre mandature.
Monsieur le Président, votre pays occupe actuellement la 145e place sur 180 au Classement mondial 2016 de la liberté de la presse. Votre prédécesseur faisait partie des prédateurs de la presse recensés par notre organisation. Sous son régime, la liberté d’information a trop souvent été bafouée, les communications coupées ou censurées, les journalistes agressés, arrêtés, torturés, condamnés à mort ou assassinés. Certains, comme Chief Ebrimah Manneh, ont disparu sans qu'aucune enquête sérieuse n'ait abouti, laissant une blessure profonde dans leur famille. Nous saluons à ce titre votre volonté d’enquêter sur ces exactions, à travers l'annonce notamment d’une Commission Vérité et Réconciliation et l’arrestation le 2 mars d’un militaire suspecté de l’assassinat en 2004 de Deyda Hydara, le co-fondateur du journal The Point, également correspondant de RSF et de l’AFP. Nous vous engageons à ce que ces efforts portent des fruits tangibles et ne restent pas des gestes de bonne volonté.
Nous saluons aussi la nomination du nouveau ministre de la Communication et de la Technologie, M. Demba Ali Jawo, ancien journaliste et président de l’Union des journalistes gambiens, qui a promis des réformes législatives nécessaires.
Dans cette perspective, nous insistons sur l’urgence d’abolir la loi contre la sédition, qui a trop souvent servi à emprisonner les journalistes et à contraindre la liberté d’expression, mais aussi sur le besoin de réformer la loi relative à l’information et aux communications ainsi que le code pénal, amendés de façon restrictive en 2013, afin que les journalistes ne puissent plus être emprisonnés pour des raisons professionnelles.
Nous sommes conscients de l’étendue des défis qui s’annoncent, et des blessures que le peuple gambien devra soigner pour aller de l’avant. De profondes transformations sont indispensables afin de tourner la page de l’ère Jammeh et restaurer la confiance des Gambiens dans les institutions étatiques. Ce combat est d’abord le votre, mais les journalistes ont également un rôle essentiel à jouer dans la vie démocratique d’un pays. Les hommes et femmes de médias doivent pouvoir travailler librement pour reconstruire la confiance entre les Gambiens, la démocratie et l’Etat de droit et dans ce but, nous espérons qu’ils bénéficieront de tout votre soutien.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de toute ma considération,
Christophe Deloire
Secrétaire Général
Reporters Sans Frontières