Pour RSF, la journaliste russe Zhanna Agalakova brise le silence sur la propagande du Kremlin
Suite à l’invasion russe en Ukraine, Zhanna Agalakova, la correspondante à Paris de la première chaîne russe Pervi Kanal (Channel One) a décidé de démissionner. Pour RSF, elle a accepté de raconter son expérience au cœur du média numéro 1 aux mains du Kremlin.
“C’est un moment de vérité extrêmement puissant à l’heure où nous sommes particulièrement préoccupés par la situation en Ukraine et d’une autre manière en Russie”, a déclaré Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), mardi 22 mars au siège de l’organisation. Ce moment rare, c’était la première prise de parole publique de la journaliste démissionnaire Zhanna Agalakova, correspondante à Paris de la chaîne russe Pervi Kanal (Channel One), le puissant média aux ordres du Kremlin, dans le cadre d’une conférence de presse intitulée “Derrière le rideau de la propagande”.
Après la pancarte brandie par la productrice Marina Ovsyannikova en plein direct sur le plateau de l’émission Vremia sur Pervi Kanal, qui a fait le tour des réseaux sociaux, “nous observons ces derniers jours, à l’intérieur des médias de propagande, des remous, a ajouté Christophe Deloire, un certain nombre de démissions, des gens lassés, qui se disent “là, c’est trop”.” Zhanna Agalakova en fait partie.
Devant une forêt de caméras et de micros de la presse internationale venue l’écouter, Zhanna Agalakova a raconté comment l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février avait été à l’origine de sa décision de démissionner. “Ce n’était pas possible pour moi d’appeler ce qu’il se passe en Ukraine "l'opération pacifique”, a-t-elle précisé. C’est la guerre, il faut le dire clairement.” Zhanna Agalakova a expliqué qu’elle avait déjà songé plusieurs fois à quitter son poste face à la manipulation de l’information sur Pervi Kanal comme sur tous les médias d’Etat en Russie, mais que jusqu’à présent, “elle n’avait pas eu le courage de partir”.
Elle fait le récit de la propagande de l’intérieur. En 2005, elle présentait le JT : “C’était le début du second mandat du président actuel et les médias sentaient une pression. Chaque fois aux actualités, on ne devait montrer qu’une seule personne, quoi qu’il fasse, on devait le montrer. Personne ne le connaissait alors, et trois ans plus tard, il est devenu président”. Vainqueur du scrutin en mars 2008, Dimitri Medvedev allait en effet prendre la succession de Vladimir Poutine, atteint par la limite constitutionnelle de deux mandats, à la tête de l’Etat russe. “C’est nous qui avons forgé cette image”, a assumé Zhanna Agalakova dans son mea-culpa. Bref, la construction artificielle d’un président.
Pour décrire les coulisses de la mainmise du Kremlin sur l’information en Russie, la journaliste a également raconté qu’en 2014, lors du conflit dans le Donbass, à l’Est de l’Ukraine, elle était correspondante à New-York : “ je devais chercher des nouvelles mauvaises sur les Etats-Unis, des enfants adoptés par des Américains et qui étaient maltraités”. Des faits partiaux pour construire une image négative de “l’Occident”. Pour elle, “la propagande ce ne sont pas des mensonges, c’est une somme de faits juxtaposés qui donnent à voir une vision parcellaire des choses et qui à la fin font un mensonge”. Il arrive aussi, bien entendu, que la propagande relève de mensonges purs et simples.
“Les médias russes transmettent uniquement le point de vue du Kremlin et les autres points de vue n’ont aucune chance. On ne parle que d’un homme, le premier homme du pays, ce qu’il a mangé, ce qu’il a bu, nous l’avons même vu torse nu !”, a encore commenté la journaliste. Or quand des personnes ne voient pas leur reflet dans les actualités, leur voie est inaudible et c’est le chemin assuré vers le suicide de tout un pays.” Sans oublier que “toutes ces dernières années, le pouvoir a essayé d’étrangler les médias indépendants”.
Zhanna Agalakova a commencé sa carrière à l'agence de presse RIA Novosti, rejoint la chaîne russe privée NTV en 1996, puis intégré Pervi Kanal (Channel One) en octobre 1999. Elle y présentait les émissions d’informations de la journée et du soir, ainsi que le principal programme d’informations, Vremia. Elle a été correspondante à Paris de septembre 2005 à janvier 2013, puis envoyée spéciale à New-York jusqu’en août 2019.
La Russie occupe le 150e rang sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.