Le projet de loi sur le renseignement sera soumis au vote de l’Assemblée nationale le 5 mai. Reporters sans frontières (RSF) explique point par point de quelle manière cette loi va mettre en danger le travail de l'ONG.
Le texte de loi que s’apprête à voter l’Assemblée pourrait avoir des conséquences très concrètes pour RSF. Ainsi les échanges avec des sources sur des terrains sensibles ou des opérations de communication pourraient être fortement compromises.
“Le mode d’action et les activités de RSF, ONG de défense de la liberté de l’information, sont de nature à entrer dans le champs du texte pour le déploiement d’outils de surveillance. Comment travailler efficacement sous la menace permanente d’une surveillance de nos activités ? Le texte sur le renseignement, s’il devait être adopté, porterait atteinte à notre capacité d’agir”, déclare Christophe Deloire.
Communications électroniques interceptées
Ce projet de loi permettra l’interception des messages électroniques échangés entre RSF et ses sources sur le terrain. L’article L. 852-1 donne expressément le droit aux services de renseignement d’intercepter les correspondances électroniques de proches d’une personne ciblée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Depuis 30 ans, Reporters sans frontières recense au quotidien les atteintes à la liberté d’information. Pour documenter enlèvements, exactions, assassinats et fermetures de médias, RSF dispose d’un réseau de 150 correspondants dans 130 pays dont la Syrie, le Pakistan, l’Afghanistan, l’Irak, le Mali, l’Algérie, etc. Des pays dont les échanges avec la France intéressent spécialement les services de renseignement en ce moment. Parmi les correspondants de RSF, certains ont été amenés à échanger avec des représentants de groupes considérés comme terroristes, pour une interview, une confirmation ou une confrontation.
Navigation surveillée
L’article L. 851-4 du projet de loi prévoit la possibilité d’imposer aux opérateurs (les fournisseurs d’accès Internet et les hébergeurs) l’installation d’un dispositif destiné “à détecter une menace terroriste sur la base de traitements automatisés des seules informations ou documents mentionnés au même article”.
Si ce type de dispositif venait à être installé chez l’un des fournisseurs d’accès de RSF, Nerim ou SFR, certains sites visités par les journalistes de RSF seraient inévitablement catalogués comme suspects. L’enlèvement d’un journaliste peut être revendiqué par un groupe terroriste sur son site internet. Ces sites constituent pour RSF une source d’information.
Le texte prévoit qu’une fois un comportement suspect identifié, l’anonymat des données de connexion pourra être levé et celles-ci conservées pendant cinq ans. Les services de renseignement pourront ainsi obtenir et conserver l’historique de navigation de l’ensemble des journalistes de RSF (tous identifiés par la même adresse IP chez le fournisseur d’accès) sur les cinq prochaines années.
Manifestations sous surveillance
RSF, organisation militante, est coutumière des opérations “coup de poing” pour alerter l’opinion sur la situation dramatique des journalistes, professionnels ou non, dans de nombreux pays. A de nombreuses reprises, des militants de l'organisation ont déployé des banderoles, jeté de la peinture, collé des affiches dénonçant la répression de la liberté de la presse devant des ambassades telles que l’Égypte, la Syrie ou l’Iran. À l’occasion des visites en France des présidents chinois Xi Jinping en 2014 et Hu Jintao en 2010, des militants de RSF ont manifesté devant les cortèges présidentielles avant d’être évacués par les services de sécurité.
La loi sur le renseignement et les nouveaux pouvoirs de surveillance qu’elle accorde aux services rendront ce genre d’évènements encore plus difficiles à réaliser. Celle-ci autorise la pose de dispositif permettant la localisation en temps réel de véhicules (article L. 851-6) ou l’utilisation de dispositifs d’interception de communications GSM. Parmi les motifs qui justifient ces nouveaux moyens de surveillance (article L. 811-3) on trouve la protection des “intérêts majeurs de la politique étrangère”. Ainsi, si RSF prévoit de perturber une visite officielle d’un président d’un pays ami, les services de renseignement auront tout loisir de déployer des IMSI catchers devant les locaux de l’organisation ou de placer des balises GPS sur les véhicules des militants.
2011 - Action de Reporters sans frontières devant l'ambassade de Syrie
Outils de chiffrement compromis
RSF distribue des outils permettant aux journalistes dans le monde entier de mieux protéger leurs communications, sur téléphone mobile ou sur Internet. Parmi ces outils, on compte les accès VPN. Un VPN permet à son utilisateur de chiffrer le trafic internet de son ordinateur ou de son téléphone portable grâce à un serveur maintenu par un tiers. RSF maintient des serveurs VPN grâce à un partenariat avec l’association FDN. Ces serveurs sont situés en France. L’amendement N°CL262 au projet de loi sur le renseignement oblige les fournisseurs de services de cryptographie “à remettre sans délai aux agents des services de renseignement les clés de déchiffrement des données transformées au moyen des prestations qu'elles ont fournies.”
Les services de renseignement pourront légitimement demander à Reporters sans frontières et à son partenaire la FDN de leur transmettre leurs clés de chiffrement et obtenir ainsi un accès au trafic internet de plus de 500 journalistes situés dans le monde entier, au Pakistan, en Afghanistan, en Syrie, en Ukraine, au Mexique, etc.