Le Pakistan veut étendre son dispositif de censure aux contenus audiovisuels en ligne
Le gendarme de l’audiovisuel pakistanais a récemment publié une note censée organiser la régulation des chaînes d’information sur Internet. Compte tenu des dispositions liberticides du projet, Reporters sans frontières (RSF) appelle le législateur pakistanais à le rejeter en bloc.
La manœuvre est grossière. Faisant mine de recueillir les opinions de la société civile, le régulateur de l’audiovisuel pakistanais (Pakistan Electronic Media Regulatory Authority, PEMRA), a publié sur son site Internet, le 8 janvier dernier, un document de “Consultation sur la régulation des contenus des Web TV et des services de télévision par contournement”. Il est précisé que cette note est ouverte aux commentaires et suggestions, jusqu’au 31 janvier.
Mais, selon des informations recueillies par RSF, un projet de réglementation parallèle, bien plus drastique, concernant la censure des contenus, circule actuellement dans différentes agences du gouvernement fédéral. La société civile ne s’y est d’ailleurs pas trompée : le 28 janvier, une vingtaine d'associations ont signé un appel public à rejeter les deux versions du document.
Le texte reprend les grandes lignes d’un précédent projet, présenté par l'exécutif en janvier 2019, qui attribuait de considérables pouvoirs de censure de l'Internet aux agences gouvernementales. Lourdement critiqué, le gouvernement fédéral avait dû renoncer. Cette fois, il revient à la charge en utilisant comme prétexte la nécessité de “réguler” les Web TV (comme Youtube ou Vimeo) et les services de contournement (ou “Over the top TV”, du type Netflix ou Molotov TV).
“Acharnement”
“Petit à petit, à force de pressions, de nombreux journalistes pakistanais sont contraints à l’autocensure dans les médias traditionnels, note Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Dans ce contexte, l’Internet est devenu l’un des derniers espaces où des voix indépendantes peuvent se faire entendre.
"Nous appelons les parlementaires à rejeter en bloc ce projet qui, même dans sa forme atténuée publiée par la PEMRA, relève d’un acharnement à vouloir contrôler toute l'information, à laquelle les citoyens pakistanais devraient pourtant avoir accès, conformément à l’article 19A de la Constitution.”
Au-delà du processus de consultation vicié, le contenu du document de la PEMRA porte les germes d’une censure implacable des contenus vidéo en ligne. Ainsi, selon l'article 5.2, les Web TV devront s’acquitter de frais de licence allant jusqu’à 10 millions de roupies (environ 60.000 euros). Or, peu d’individus, ou même de médias, seraient capables de verser une telle somme - par exemple pour animer une simple chaîne Youtube.
De même, selon la section 5.4, les médias visés par le texte pourront être suspendus s’ils violent le code de conduite de la PEMRA. Or, celui-ci multiplie les formulations vagues qui laissent une trop large place à l’interprétation.
Absence d’indépendance
Déjà en 2019, ce code de conduite avait permis à la PEMRA d’interrompre brutalement à plusieurs reprises, la diffusion de chaînes d’information. Leur seul tort avait été, pour Geo TV, de diffuser une interview de l’ancien président de la République Asif Ali Zardari, et, pour trois autres chaînes - AbbTakk TV, 24 News et Capital TV - de couvrir une réunion publique tenue par une figure de l’opposition, Maryam Nawaz.
En fait, le problème réside dans la nature même de la PEMRA : le processus de nomination de ses membres est très opaque, et elle manque cruellement d’indépendance face à l'influence de l’establishment militaire et des tout-puissants services secrets.
En chute de trois places par rapport l’année précédente, le Pakistan se situe à la 142e position sur 180 pays dans l’édition 2019 du Classement mondial de la liberté de la presse publiée par RSF.