Kirghizistan : RSF demande le retrait d’une proposition de loi "sur la manipulation de l’information" sur Internet
Le parlement kirghize a ouvert le débat sur une loi visant à lutter contre la désinformation. RSF s’inquiète de ses conséquences néfastes sur la liberté de la presse et d’expression, et invite les autorités à promouvoir d’autres mécanismes.
Restreindre l’accès à toute information "susceptible" d’être fausse ou inexacte : c’est la solution - radicale - qu’offrent deux députés kirghizes au problème de la désinformation. Leur proposition de loi "sur la manipulation de l’information" est soumise au débat public depuis le 14 mai 2020.
Décidé par un "organisme public autorisé" indéterminé, ce blocage serait mis en œuvre par le fournisseur d’accès à Internet ou le propriétaire de la page ou du site incriminé. Il durerait jusqu’au retrait de l’information supposée fausse ou inexacte par le site qui l’héberge, ou jusqu’à ce que la justice se prononce sur sa véracité et n’ordonne sa suppression ou au contraire son maintien.
"Au regard du droit international, rien ne justifie qu'une autorité publique ait le pouvoir de dire le vrai du faux, et de restreindre sans contrôle judiciaire le droit à la liberté d'expression d'une personne ou d'un média au motif que les propos tenus seraient faux ou inexacts, rappelle la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale, Jeanne Cavelier. Outre la violation d’un droit garanti par la Constitution kirghize (article 31), l’octroi de tels pouvoirs peut conduire à des abus et des actions de censure. Nous appelons au retrait de cette proposition de loi."
Chaque propriétaire d’un site ou d’une page web devra, pour être en accord avec la nouvelle loi, empêcher la diffusion d'informations fausses ou inexactes, restreindre l'accès aux contenus interdits par la loi et modérer les textes publiés. Il serait également contraint d’y faire apparaître son nom, ses initiales et son adresse e-mail.
Par ailleurs, le fournisseur d’accès serait tenu de stocker pendant six mois toutes les données des utilisateurs et celles liées au trafic (réception, transmission, livraison et / ou traitement des informations vocales, écrites, des images, des sons ou d'autres messages électroniques). Ces données devraient être mises à disposition des forces de l'ordre et autorités judiciaires. Or elles ne devraient pouvoir être exploitées que sur décision judiciaire, au risque sinon d'être détournées à des fins de surveillance ou de fichage.
RSF recommande aux autorités kirghizes souhaitant lutter contre la désinformation en ligne de promouvoir plutôt des mécanismes d'autorégulation favorisant le respect des normes et de l’éthique professionnelles, à l’image de la Journalism Trust Initiative. Lancé par RSF et ses partenaires, ce référentiel pour un journalisme fiable fournit des indicateurs permettant aux médias de s'autoévaluer, de s'y conformer et d’en publier volontairement les résultats, de la transparence sur la propriété des publications et les sources de revenus aux processus de correction.
Le Kirghizistan occupe la 82e place au Classement mondial de la liberté de la presse 2020 de RSF.