Equateur: la presse prise pour cible dans un pays qui s’enfonce dans la crise
Reporters sans frontières (RSF) est très préoccupée par la multiplication des attaques contre les journalistes équatoriens, ciblés par les forces de l'ordre et les manifestants alors que les protestations et les blocages se multiplient dans tout le pays depuis le début du mois d'octobre. RSF appelle le gouvernement équatorien à garantir la sécurité des journalistes sur l’ensemble du territoire.
Depuis le 2 octobre et l’annonce du président Lenin Moreno de la suppression des subventions au carburant, en vigueur depuis près de 40 ans, l’Equateur est secoué par un mouvement social de grande ampleur et les grèves, blocages, et manifestations violentes se multiplient à travers tout le pays pour protester contre la hausse brutale des prix de l’essence. Ces protestations ont amené le gouvernement à décréter l'État d’urgence pour 30 jours, à mettre en place un couvre feu localisé et à déplacer son gouvernement de Quito à Guayaquil, seconde ville du pays, dès le 3 octobre. Dans ce contexte extrêmement tendu, les journalistes sont pris pour cibles par les forces de l’ordre et par de nombreux manifestants. Les cas de violences policières et d’arrestations arbitraires de journalistes se sont multipliées dans les grandes villes du pays.
Le 3 octobre, dans la capitale Quito, deux photographes de journal El Comercio et plusieurs reporters (El Expreso, El Universo, Primicia) qui couvraient les manifestations ont été pris à parti et frappés par la police.
Le même jour, les journalistes Mateo Flores (Manzanas), Nicole Villafuerte (Vozes) étaient tabassés et asphyxiés par la police puis détenus pendant plus de 27 heures avant d’être libérés. Le lendemain, les journalistes Leyda Ángulo (radio Olímpica), Geovanny Astudillo (TV Cisne) étaient à leur tour arrêtés, placés en détention pendant plus de 12 heures avant d’être libérés, sans la moindre explication. Iván Lozano (chaîne de télévision étudiante Udla Channel), était lui aussi arrêté par la police, qui a détruit son matériel journalistique. Dans la ville de Puyo, Marlon Santi et Jairo Gualinga (Lanceros Digitales), étaient eux aussi arrêtés et intimés par les forces de l’ordre d’arrêter de filmer les manifestations, puis présentés devant un juge avant d’être finalement libérés, faute de charges.
Le 7 Octobre, Camila Martínez, du département de communication de la Confédération des Nationalités Indigènes d’Équateur (Confederación de Nacionalidades Indígenas del Ecuador-CONAIE) était arrêtée puis placée en détention alors qu’elle couvrait les manifestations dans la ville de Guayaquil. Camila a été condamnée à 5 jours de prison, accusée de ‘mauvais traitement, d’insulte et d’agression contre des représentants de l’ordre public”.
De nombreux autres cas sont en cours de documentation par RSF. La ministre de l’Intérieur María Paula Romo et le président Moreno ont à plusieurs reprises présenté leurs excuses pour ces abus des forces de l’ordre et appelé les policiers à faire respecter et garantir le travail de journalistes dans ce contexte des manifestations. Face à l’ampleur et l’intensification de la crise sociale, il est aujourd’hui fondamental que ces instructions puissent parvenir à l’ensemble des représentants de l'Etat, et notamment dans les zones éloignées des grands centres urbains, où les journalistes sont particulièrement vulnérables.
Plusieurs radios et télévisions, comme Radio Centro Ambato, ont par ailleurs été empêchées de transmettre, victimes de coupures d’électricité coordonnées par les autorités. Les locaux de Radio Pichincha Universal, à Quito, ont été perquisitionnées par la police et des représentants du parquet du Procureur qui ont enjoint la rédaction à modifier sa programmation éditoriale sous peine de voir la fréquence de la radio supprimée.
“L’administration du président Moreno doit cesser de censurer et d’entraver le travail des journalistes, et au contraire, garantir leur sécurité sur l’intégralité du territoire. La liberté d’informer, en cette période trouble pour le pays, est plus que jamais vitale pour l’ensemble des équatoriens”, déclare Emmanuel Colombié, directeur du bureau Amérique latine de l’organisation. “ Les autorités équatoriennes doivent par ailleurs enquêter et identifier dans les plus brefs délais les auteurs des menaces et des attaques, physiques comme digitales, qui se multiplient contre la presse dans tout le pays”
En effet, outre la répression policière, les journalistes sont également pris à parti et attaqués par des manifestants partout dans le pays, et notamment dans les régions rurales, où les reporters sont soupçonnés de travailler pour le gouvernement et d’être corrompus. Ce fût notamment le cas pour Andrea Orbe Saltos (journaliste indépendante), William Rivadeneira (Cable Mágico), Carlos López (Macas News), César Correa (radio Shalom), Yerson Palma, (La Razón et Univision Arkansas), ou encore les équipes de Radio Caracol. Ces attaques, menaces et campagnes d’intimidation contre les journalistes sont largement relayées sur les réseaux sociaux.
Les rédactions de nombreux journaux, comme El Comercio et le site GK, ont signalé se sentir particulièrement vulnérables et manquer de matériel de protection pour assurer convenablement la couverture de cette grave crise qui secoue le pays.
L'organisation Fundamedios a enregistré, après à peine 6 jours de grève nationale, au moins 59 attaques contre les journalistes à travers le pays.
L’Equateur est classé 97e sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF en 2019.