Confusion sur le sort de plusieurs prisonniers tandis qu'un célèbre journaliste a été arrêté par les autorités
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Alors que la Journée internationale de la liberté de la presse vient d'être célébrée, le 3 mai dernier, l'Erythrée reste le pire pays au monde pour les journalistes. Une trentaine d'entre eux sont actuellement emprisonnés, au secret, dans des conditions inhumaines, tandis que les autorités procèdent à de nouvelles arrestations, comme celle de l'un des plus célèbres journalistes du pays, Said Abdulhai, au cours de la dernière semaine du mois de mars 2010.
"Bien que timides, les protestations internationales contre l'Erythrée ont pris forme avec les sanctions imposées par le Conseil de sécurité de l'ONU, le 23 décembre 2009, sur proposition de l'Ouganda. Nous appelons la communauté internationale à poursuivre dans cette voie et à réagir avec plus de fermeté face aux crimes commis par le régime d'Asmara. L'Union européenne, en particulier, peut-elle tolérer plus longtemps le silence et le mépris des autorités quand celles-ci se permettent d'arrêter et de laisser mourir en prison des dizaines de journalistes ?", s'est interrogée Reporters sans frontières.
Nouvelles révélations d'un ancien gardien d'Eiraeiro
En avril 2010, Eyob Bahta Habtemariam, un homme se présentant comme un ancien gardien du centre de détention d’Eiraeiro, dans la province désertique de la mer Rouge septentrionale, au nord-est de la capitale Asmara, a fui l'Erythrée et a trouvé refuge en Ethiopie.
Selon lui, le journaliste suédo-érythréen Dawit Isaac, arrêté en 2001, serait détenu à Eiraeiro et maintenu à l'isolement, menotté, dans une cellule de 12 mètres carrés sans fenêtre. Son état de santé, physique et mental, serait très sérieux.
C'est la première fois qu'un gardien affirme avec autant de certitude le lieu de détention de Dawit Isaac. Depuis son arrestation, l'ancien journaliste du quotidien disparu Setit a été transféré plusieurs fois. En 2009, il a séjourné à l'hôpital de l'armée de l'air à Asmara et a été admis, à deux reprises, à l'hôpital Kedeste Mariam (Sainte Marie) d'Asmara, un établissement psychiatrique.
Trois autres journalistes au moins, tous arrêtés en septembre 2001, sont actuellement détenus au bagne d'Eiraeiro. Il s'agit du rédacteur en chef de l'hebdomadaire privé Zemen, Amanuel Asrat (prisonnier n°25), du journaliste freelance Seyoum Tsehaye (prisonnier n°10), et du rédacteur en chef adjoint et cofondateur de Meqaleh, Dawit Habtemichael (prisonnier n°12).
Si certaines informations avancées par Eyob Bahta sont hautement crédibles, confirmant d'ailleurs la description qu'avait faite Reporters sans frontières du bagne d'Eiraeiro en janvier 2008 , l'organisation émet toutefois des réserves sur l'authenticité de l'ensemble de son témoignage. L'ancien gardien confirme la mort en détention, plusieurs fois annoncée par Reporters sans frontières, de quatre journalistes : Fessehaye Yohannes, dit Joshua, Yusuf Mohamed Ali, Medhanie Haile et Said Abdulkader. Il affirme cependant que Fessehaye Yohannes se serait suicidé dans sa cellule en 2003 tandis que d'autres informations recueillies dans le passé par Reporters sans frontières font état de la mort de ce journaliste, le 11 janvier 2007 seulement, des suites de conditions terribles de détention.
Par ailleurs, Eyob Bahta semble parfois commettre une confusion entre les journalistes Dawit Isaac et Dawit Habtemichael. "Je suis sûr que ce que dit cet homme sur mon frère est vrai", estime cependant le frère de Dawit Isaac, Esayas, qui est allé le rencontrer en Ethiopie.
Quelques libérations, mais de nouvelles arrestations
De son côté, Reporters sans frontières a eu accès à une source érythréenne fiable selon laquelle plusieurs journalistes, longtemps détenus, ont été libérés courant 2009. Leur remise en liberté a été obtenue contre le fait que certains de leurs proches se soient portés garants. Les journalistes relâchés sont Daniel Kibrom, du service oromo de la chaîne publique Eri-TV, Tura Kubaba, du service kunama de la radio publique Dimtsi Hafash (La Voix des Masses), "Johnny" Hisabu, d'Eri-TV, Eyob Kessete, du service amharique de Dimtsi Hafash.
On reste sans nouvelles de plusieurs autres journalistes, lesquels sont détenus au secret ou ont "disparu".
Haythem Mebrahtu, employé de l'agence de presse érythréenne Newsroom et ancien journaliste du service en bilen de la radio publique Dimtsi Hafash, aurait passé environ six mois en détention, à la prison militaire d'Adi Abeito, à cheval sur 2009 et 2010.
S'agissant de l'équipe de la station Radio Bana (une cinquantaine de personnes), qui avait été intégralement victime d'une rafle en février 2009, plusieurs journalistes avaient été rapidement relâchés mais douze sont encore maintenus en détention. Personne ne sait ce qui leur est reproché.
Enfin, les autorités érythréennes ont procédé à l'arrestation du célèbre journaliste et actuel employé du ministère des Affaires étrangères Said Abdulhai. Les raisons de son arrestation et son lieu exact de détention restent inconnus. Selon certaines sources, il pourrait être retenu à Adi Abeito. Vétéran de la guerre d'indépendance contre l'Ethiopie, diplômé de l'université de Benghazi en Libye dans les années 1980, il est l'un des fondateurs du département des médias après la libération. A une époque directeur du département de la presse au ministère de l'Information, il était le responsable de l'agence de presse érythréenne et du journal progouvernemental en tigrinya, anglais et arabe.
Le 3 mai dernier, Reporters sans frontières a rendu publique une liste de quarante "prédateurs de la liberté de la presse" parmi lesquels figure le chef de l’Etat érythréen, Issaias Afeworki, directement responsable de la répression sur les journalistes et de la suspension de la presse privée depuis 2001. En savoir plus .
Par ailleurs, la section suédoise de Reporters sans frontières et d'autres associations de défense de la liberté de la presse ont publié une tribune dans le quotidien suédois Dagens Nyheter pour demander à l'Union européenne de suspendre son aide en faveur de l'Erythrée "jusqu'à la fermeture du camp de la mort d'Eiraeiro, et jusqu'à ce que ses prisonniers reçoivent des soins, soient relâchés ou jugés".
Plus tôt dans l'année, le 11 janvier, Reporters sans frontières avait adressé une lettre à Manfred Nowak, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, pour lui demander de tout mettre en œuvre pour obtenir une amélioration des conditions de détention des journalistes emprisonnés en Erythrée. "Nous vous exhortons à demander aux autorités un accès aux journalistes emprisonnés afin de vous enquérir de leur état de santé et d’enquêter plus généralement sur les conditions de détention dans le pays. Nous vous demandons également d’exercer une pression suffisante sur le gouvernement d’Asmara pour que les détenus soient jugés ou libérés", écrivait l'organisation.
Lire la lettre .
Photo : Le président Issaias Afeworki (Reuters/Ho New)
Publié le
Updated on
20.01.2016