Chaos en Bolivie : des médias désemparés et pris pour cibles
Les attaques contre la presse s’intensifient depuis la fin de la campagne électorale bolivienne et le départ en exil du président Evo Morales. Les journalistes sont violemment pris à partie par les manifestants et les forces de l’ordre, de nombreuses stations de radio et de TV ont été contraintes d’interrompre leurs activités et ont vu leurs locaux saccagés. RSF lance un appel auprès de l’ensemble de la société bolivienne pour faire respecter le travail de la presse.
Intimidations, harcèlement, menaces, agressions physiques, vol de matériel, médias saccagés, télévisions et radios censurées… Alors que la Bolivie s’enfonce dans le chaos et la crise politique, les attaques contre la presse se sont multipliées ces dernières semaines. RSF a recensé au moins 30 cas de violations de la liberté de la presse depuis le 20 octobre 2019, date de l’élection présidentielle. Dans un contexte de polarisation extrême, les médias proches d’Evo Morales -cibles systématiques des partisans d’un changement de gouvernement-, tout comme la presse d’opposition, sont coincés entre deux feux et se retrouvent dans une situation d’extrême vulnérabilité.
Une station de transmission de la chaîne de télévision Unitel a ainsi été saccagée à El Alto, municipalité voisine de capitale La Paz, le 9 novembre. Le même jour, les journalistes et collaborateurs des médias publics Bolivia TV et Radio Red Patria Nueva ont dû abandonner l’immeuble qui héberge leur rédaction, sous la contrainte de manifestants qui sont parvenus à interrompre la diffusion du signal d’émission. Le directeur de la radio communautaire appartenant à la Confédération de paysans boliviens (Confederacion de Campesinos de Bolivia), José Aramayo, a par ailleurs été brutalement attaqué, attaché à un arbre et humilié publiquement.
Dans la nuit du 11 novembre, à La Paz, la capitale du pays, le domicile de la journaliste Casimira Lema, présentatrice de la chaîne Television Universitaria (TVU), a été incendié par des manifestants. TVU avait déjà annoncé l’interruption temporaire de ses activités après avoir reçu des intimidations. Plusieurs médias, tels que le quotidien Pagina 7, et la chaîne Red Uno ont adopté des mesures similaires afin d’assurer la protection de leurs journalistes et collaborateurs.
Les cas de harcèlement en ligne et d’agressions contre les journalistes couvrant des manifestations se sont également multipliés ces dernières semaines. Par ailleurs, des dizaines de quotidiens, comme “Opinión” et “Los Tiempos” à Cochabamba, Página Siete à La Paz, El Deber, La Estrella del Oriente, El Día, et El Mundo à Santa Cruz ont été contraints de suspendre leurs versions imprimées pour des raisons de sécurité, ne pouvant garantir la distribution des journaux.
“La liberté de la presse est en grand danger en Bolivie. Pris pour cible par les manifestants, les journalistes ne peuvent plus assurer leur travail d’information dans des conditions de sécurité acceptables, alerte Emmanuel Colombié, directeur du bureau Amérique latine de RSF. Dans ce contexte de tension et de violence exacerbée, il est crucial que les responsables politiques, l’armée, la police, les manifestants, les leaders syndicaux et indigènes respectent le travail de la presse et que la sécurité des journalistes soit garantie et assurée sur l’intégralité du territoire.”
Après trois semaines de manifestations massives suite à la réélection controversée d’Evo Morales, ce dernier, sous la pression de l’Armée, a annoncé sa démission le dimanche 10 novembre, avant de s’exiler au Mexique. Le pays est actuellement confronté à une vacance du pouvoir, alors que les violences et les mutineries se poursuivent dans de nombreuses régions. La Bolivie se situe à la 113e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.