Burundi: les journalistes sous la menace du régime, même en exil
Le 31 juillet 2016, un journaliste en exil en Ouganda a été poignardé, tandis qu’un autre est détenu au secret à Bujumbura depuis dix jours. Reporter sans frontières (RSF) demande aux autorités burundaises de cesser sa politique d'intimidation envers les journalistes, jusque dans les pays voisins où ils sont en exil, et de mettre un terme à l'impunité des services de renseignements et forces de sécurité. Lundi 1er août, RSF a appris qu'un journaliste de Bonesha FM, en exil en Ouganda, a été victime d’une agression au couteau à Kampala. Or une semaine plus tôt il alertait son rédacteur en chef de la présence d’agents du renseignement burundais infiltrés dans la communauté des réfugiés. Les services nationaux de renseignement (SNR) sont également mis en cause dans la disparition du journaliste Jean Bigirimana depuis le 22 juillet. Sans nouvelles depuis plus de 10 jours ses proches craignaient le pire. RSF a appris ce 2 août qu'il serait en vie et détenu à Bujumbura.
“Que ce soit Boaz Ntaconayigize en Ouganda ou Jean Bigirimana au Burundi, le point commun est l'impunité totale dont jouissent ceux qui commettent des exactions envers les journalistes, dénonce Cléa Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières. Nous demandons aux autorités burundaises de mettre un terme à ses pratiques qui ne font qu’aggraver la crise et éloigner encore plus la possibilité d'un retour à l'Etat de droit.”
Le journaliste de Bonesha FM, Boaz Ntaconayigize, a été poignardé le 31 juillet 2016 à Kampala (Ouganda) où il est en exil. Selon le site d’information SOS Média Burundi, il dit avoir été agressé par quatre hommes vers 21 heures, près de son domicile, et laissé agonisant dans le caniveau. Il a été hospitalisé. Patrick Nduwimana, directeur de Bonesha FM, lui-même en exil, explique que le journaliste l’avait avertit une semaine plus tôt que des agents des SNR cherchaient à infiltrer la communauté des réfugiés burundais en Ouganda afin de traquer les journalistes et activistes de la société civile. Il poursuit: “Il est agressé une semaine après avoir lancé cette alerte: on ne peut pas s'empêcher de croire qu'on voulait l'éliminer.” Boaz Ntaconayigize est certain d'avoir reconnu deux de ses agresseurs, des Burundais qui se font passer pour des réfugiés et qui font un commerce à Kampala, a-t-il précisé. Le journaliste était à l'antenne le 14 mai 2015, au moment où Bonesha FM a été attaquée et détruite.
Le correspondant de Radio France Internationale, Esdras Ndikumana, lui-même sauvagement agressé par des agents du SNR il y a exactement un an, le 2 août 2015, avait fait état des mêmes inquiétudes concernant l’infiltration d’agents de Bujumbura. En exil au Kenya, il a témoigné que certains éléments peu scrupuleux de la police kényane avaient été payés pour commettre des agressions contre les réfugiés burundais connus pour être critiques de la présidence de Pierre Nkurunziza. Alors que la présidence avait annoncé publiquement l’ouverture d’une enquête pour identifier les responsables de son passage à tabac dans les locaux des SNR, aucune avancée judiciaire n’a eu lieu à ce jour. De sources sûres, le premier juge a été muté, le second juge a démissionné pour des raisons inconnues, et depuis, aucun autre n’a été nommé pour suivre le dossier.
On peut imaginer que si les SNR exporte leurs tactiques violentes hors des frontières nationales, les journalistes demeurés à l’intérieur du pays sont encore plus exposés.
Disparu depuis le 22 juillet 2016, le journaliste Jean Bigirimana, collaborateur de Infos Grands Lacs et Iwacu, serait aux mains des SNR. Une source fiable a informé Reporters sans frontières qu’il est vivant, alors que sa famille craignait déjà qu’il ait été assassiné. Il est actuellement détenu au secret à Bujumbura. Toujours selon cette source, il lui serait reproché ses contacts avec les journalistes de la RPA (Radio Publique Africaine) en exil. Une décision devrait être prise cette semaine pour savoir s’il sera traduit en justice.
Il n’est malheureusement pas le seul journaliste à croupir derrière les barreaux. Julien Barinzigo, collaborateur entre autres du site Oximity News, est aux arrêts depuis le 17 juin 2016. Il avait été interpellé par des personnes en civil alors qu’il était dans le quartier de Cibitoke au nord de la capitale burundaise, et mené dans un cachot des SNR. Il a été présenté deux fois aux juges, dont la dernière fois 1er aout, et est poursuivi pour outrage à chef de l'Etat et atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat. Joint par Reporters sans frontières, le journaliste s’est inquiété que cette seconde charge soit à nouveau mise en avant car elle avait été abandonnée par le ministère public lors de sa première présentation au juge. La demande de remise en liberté introduite par ses avocats n’a pas encore été examinée car, selon les juges, les juridictions de Bujumbura sont en cours de réorganisation…
“Il n' y a aucune conséquence pour les agents de sécurité ou de renseignement qui se livrent à des actes de violence ou d'intimidations contre les journalistes, dénonce RSF. Ceux-ci se retrouvent délibérément visés parce qu'ils sont journalistes, en dehors même de leur production à proprement parler. C'est devenu une véritable chasse aux sorcières.”
En témoigne le passage à tabac du journaliste Nestor Ndayitwayeko, collaborateur de Infos grands Lacs à Rutana dans le sud est du pays. Alors qu'il s'apprêtait à quitter un bar, il a été agressé par un officier de police qui lui reprochait tout simplement d'être journaliste. Comme il le rappelle simplement: “Un journaliste n'est pas un ennemi de la population. Nous sommes la population. La police est là pour nous protéger. Il faut que la justice aussi fasse son travail.”
Le Burundi a perdu onze places dans l’édition 2016 du Classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. Il occupe aujourd’hui la 156e position sur 180 pays.