Au moins onze journalistes birmans actuellement derrière les barreaux
Un mois après le coup d’Etat militaire du 1er février dernier, Reporters sans frontières (RSF) dresse le bilan du soudain durcissement de la répression envers les journalistes qui s’est déclenché durant les trois derniers jours. L’organisation interpelle la junte au pouvoir sur sa responsabilité face à l’histoire.
Après un mois de flottement au sein de la junte, la répression du mouvement pro-démocratie s’est soudainement durcie. Alors que les journalistes qui étaient interpellés pendant les manifestations étaient jusqu’à présent rapidement relâchés, la situation a radicalement changé ces trois derniers jours. A la date du 2 mars, au moins onze journalistes se trouvaient maintenus en détention, sur un total de 28 journalistes interpellés depuis le coup d’Etat.
Le dernier journaliste arrêté l’a été à son domicile de Mergui, dans le sud du pays, hier lundi 1er mars, vers 22 heures 30, heure locale. Kaung Myat Naing (également connu sous le nom Aung Kyaw), reporter de l'agence Democratic Voice of Burma, a diffusé en direct une vidéo des policiers débarquant chez lui pour l’embarquer. On l’entend demander si les fonctionnaires agissent en vertu d’un mandat d’arrêt, ce à quoi les policiers répondent par des cris et des coups de feu.
“Nous appelons le gouvernement birman à ordonner la libération immédiate et inconditionnelle de tous les journalistes actuellement maintenus en détention, et l’abandon des charges qui pèsent sur eux, déclare le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. Il est absolument crucial que les reporters puissent couvrir ce moment historique dans l’histoire de la Birmanie. Les généraux qui ont pris le pouvoir doivent comprendre que le monde les regarde, et que l’histoire les jugera.”
Violemment battue
Le reporter du Chinland Post, Salai David figure également sur la liste des journalistes actuellement emprisonnés. Il a été arrêté hier matin, lundi 1er mars, à Hakha, la capitale de l’Etat Chin, dans l’ouest de la Birmanie et maintenu en détention, tandis que dans la région de Sagaing, un peu plus à l’ouest, un journaliste de la Monywa Gazette, Lay Min Soe, a été relaché après avoir été momentanément arrêté hier lundi, avant d’être finalement relâché dans la journée. Il a en revanche été blessé par des coups portés par les policiers.
Le même jour, un reporter de nationalité chinoise, qui travaille pour l’agence Xinhua, a été touché par des tirs de balles en caoutchouc alors qu’il couvrait de mouvement de protestation à Rangoun, dans le sud du pays.
Dimanche 28 février, six journalistes ont été arrêtés à travers le pays alors qu’ils couvraient les mouvements de protestation. Lin Tun, reporter pour le média YamaNya Taing, a été interpellé dans la ville de Moulmein, dans le sud, avant d’être relâché hier lundi. A Myitkyina, au nord, le reporter Paung Lan Taung, qui travaille pour le site 74 Media, a lui aussi été relâché dans la journée après avoir été interpellé. A Pathein, au sud-ouest, Ye Yint Tun, journaliste au journal Than Taw Sint, a pour sa part été transféré en prison après son interpellation.
A Rangoun, le rédacteur en chef du Chun Journal, Kyaw Nay Min, a été arrêté puis transféré à la prison d’Inn Sein. Le même sort a été réservé au reporter indépendant Soe Yarzar Tun.
Shin Moe Myint, une étudiante qui couvrait le mouvement de protestation comme journaliste indépendante, a été violemment battue et embarquée dans un fourgon de police, selon deux témoins interrogés par RSF. Elle a aussi été transférée vers la prison d'Inn Sein, avant d'être libérée aujourd'hui mardi.
Coup de filet
La veille, samedi 27 février, sept reporters ont été arrêtés alors qu’ils couvraient les manifestations dans leur ville respective. A Rangoun, le photographe de l'Associated Press Thein Zaw, et celui de la Myanmar Pressphoto Agency, Ye Myo Khant, ont tous deux été interpellés dans le quartier de Hle Dan.
La reportrice de Myanmar Now Kay Zon Nwe était, pour sa part, en train de diffuser en direct une vidéo du mouvement de protestation dans le quartier de Mayangone, lorsque les policiers l’ont embarqué dans un fourgon. Le reporter free-lance Banyar Oo a lui aussi été transféré vers la prison d'Inn Sein.
Le même jour, dans la région de Sagaing, dans le centre du pays, l’équipe de la Monywa Gazette a révélé sur sa page Facebook que son directeur de la publication, Kyaw Kyaw Win, a été violemment battu par des policiers en civil, avant d’être à son tour embarqué dans un fourgon de police. Il a été relâché le lendemain.
Dans l’Etat Chin, dans l’est du pays, le directeur du Hakha Times, Par Pwie, a également été arrêté alors qu’il diffusait en direct une vidéo des manifestations. Il a été libéré le lendemain.
Dans la ville de Magway, au centre, Zar Zar, une journaliste qui travaille pour le journal Myay Latt, a également été interpellée samedi, avant d’être libérée dans la journée.
Trois ans de prison
Selon des informations obtenues par RSF, et non confirmées par les autorités birmanes, les dix reporters actuellement maintenus en détention seraient inculpés au motif de l'article 505.A du code pénal, qui réprime la publication de “fausses informations”, et prévoit une peine maximale récemment étendu de deux à trois ans de prison. Une crainte confirmée auprès de RSF par les proches du photoreporter Ye Myo Khant, arrêté samedi.
Avant cette vague d’arrestations, vendredi 26 février, RSF a diffusé la vidéo de l’arrestation d’un reporter et documentariste de nationalité japonaise, Yuki Kitazumi, à Rangoon. Il a été relâché le jour-même. Même scénario pour un photojournaliste chinois, Wai Yan, qui travaille pour l’agence Xinhua.
Le jeudi 25 février, deux reporters basés à Monywa, Tin Mar Swe, qui travaille pour la chaîne MCN TV News, et Khin May San, journaliste au magazine The Voice, ont été momentanément arrêtés, mais ont été inculpés au motif de l’article 505.A du code pénal.
Le coup d’Etat du 1er février dernier a soudainement interrompu le processus démocratique en Birmanie, ramenant la situation de la liberté de la presse dix ans en arrière, lorsque censure préalable et répression de la presse indépendante étaient la règle.
Le pays se situe actuellement à la 139e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.