Ukraine : RSF demande au gouvernement la fin du “télémarathon”

Créé le lendemain de l’invasion russe en Ukraine, en février 2022, pour faire face à la vague de désinformation russe qui a déferlé au début de la guerre,  le  “télémarathon”, est désormais vivement critiqué en Ukraine. Reporters sans frontières (RSF) appelle à la suppression de ce regroupement de six grandes chaînes coproduisant un programme d’information en continu et au retour à la concurrence afin de renforcer le pluralisme dans les médias.

Audiences qui plafonnent à 10 %, confiance en berne, critiques de la société civile... Près de deux ans après sa création, le “marathon de l’information nationale”, appelé “télémarathon”, peine à convaincre plus de 20 % des téléspectateurs de sa pertinence, selon un récent sondage de la Fondation pour les initiatives démocratiques et du Centre sociologique Razumkov



Coproduit par les principales chaînes de télévision ukrainiennes depuis le 24 février 2022, ce “télémarathon Edyny Novyny” (“Nouvelles unifiées”) visait à offrir une information fiable face à la propagande du Kremlin dans le contexte confus du début de l’invasion russe à grande échelle. Son format fait aujourd’hui débat : des organisations spécialisées sur les médias telles que l’Institute of Mass Information (IMI) – partenaire local de RSF – ou Detektor Media dénoncent sa complaisance vis-à-vis de la ligne gouvernementale, l’autocensure des journalistes et, comme RSF l’avait déjà regretté, l’absence des chaînes d’opposition.

“Utile et efficace pour contrer la vague inédite de désinformation russe qui a déferlé sur le pays en février 2022, le “télémarathon” est devenu obsolète et, surtout, fragilise le pluralisme dans les médias. En deux ans, les chaînes de télévision ukrainiennes ont réussi à se réorganiser et à renforcer leurs équipes, leur permettant de traiter davantage d'informations vérifiées et sourcées. Aujourd’hui, elles sont toutes en mesure de lutter contre la propagande russe à leur niveau, tout en maintenant leur pluralisme et leur indépendance éditoriale. RSF appelle le gouvernement ukrainien à mettre fin au “télémarathon”. L’effort doit maintenant être mis sur le renforcement du soutien financier aux médias publics et indépendants.

Jeanne Cavelier
Responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale de RSF

Initiative lancée par les chaînes de télévision elles-mêmes, avant d’être formalisée par décret, le “télémarathon” regroupe quatre chaînes  privées, Inter, 1+1, We Ukraine, ICTV, et deux chaînes publiques, Suspilne et Rada, chacune possédant son propre créneau de production. Le même programme d’information en continu est donc relayé sur ces différents canaux télévisés, rendant plus difficile un brouillage par les forces armées russes. Parfois en duplex depuis des parkings sous-terrains transformés en abris anti-bombes, les journalistes commentent quotidiennement la situation sur le front, l’actualité politique, diplomatique et économique. Ce “télémarathon” a son équivalent en langue russe, “Freedom”, lancé notamment par les chaînes Inter, 1+1, Ukraine (désormais We Ukraine), et le groupe StarlightMedia qui détient ICTV.

Si le “télémarathon” est défendu au plus haut niveau, notamment par le président Volodymyr Zelensky, le porte-parole du bureau présidentiel Serhiy Nikiforov a admis fin 2023 qu’il devait être réformé. Les chaînes participantes elles-mêmes envisagent un nouveau format et doivent présenter des propositions. En attendant, il reste doté, en 2024, d’un budget de plus d’1,5 milliard de hryvnias, soit plus de 37 millions d’euros, alors que groupe audiovisuel public Suspilne ne bénéficie que de 44 millions d’euros pour financer plusieurs chaînes de télévision à l’échelle nationale et locale, des radios, des sites d’information, et employer plus de 4 000 personnes.

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